Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/694

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intelligentes relevaient les autels de la grande république des âmes, de la seule Église qui ait mis l’Humanité dans sa voie, nous pourrions revoir en France les miracles qu’y firent nos pères.

— Que voulez-vous, monsieur le curé, dit Gérard, s’il faut vous parler comme au confessionnal, je regarde la Foi comme un mensonge qu’on se fait à soi-même, l’Espérance comme un mensonge qu’on se fait sur l’avenir, et votre Charité, comme une ruse d’enfant qui se tient sage pour avoir des confitures.

— On dort cependant bien, monsieur, dit madame Graslin, quand l’Espérance nous berce.

Cette parole arrêta Roubaud qui allait parler, et fut appuyée par un regard de Grossetête et du curé.

— Est-ce notre faute à nous, dit Clousier, si Jésus-Christ n’a pas eu le temps de formuler un gouvernement d’après sa morale, comme l’ont fait Moïse et Confucius, les deux plus grands législateurs humains ; car les Juifs et les Chinois existent, les uns malgré leur dispersion sur la terre entière, et les autres malgré leur isolement, en corps de nation.

— Ah ! vous me donnez bien de l’ouvrage, s’écria naïvement le curé, mais je triompherai, je vous convertirai tous !… Vous êtes plus près que vous ne le croyez de la Foi. C’est derrière le mensonge que se tapit la vérité, avancez d’un pas et retournez-vous !

Sur ce cri du curé, la conversation changea.

Le lendemain, avant de partir, monsieur Grossetête promit à Véronique de s’associer à ses plans, dès que leur réalisation serait jugée possible ; madame Graslin et Gérard accompagnèrent à cheval sa voiture, et ne le quittèrent qu’à la jonction de la route de Montégnac et de celle de Bordeaux à Lyon. L’ingénieur était si impatient de reconnaître le terrain et Véronique si curieuse de le lui montrer, qu’ils avaient tous deux projeté cette partie la veille. Après avoir fait leurs adieux au bon vieillard, ils se lancèrent dans la vaste plaine et côtoyèrent le pied de la chaîne des montagnes depuis la rampe qui menait au château jusqu’au pic de la Roche-Vive. L’ingénieur reconnut alors l’existence du banc continu signalé par Farrabesche, et qui formait comme une dernière assise de fondations sous les collines. Ainsi, en dirigeant les eaux de manière à ce qu’elles n’engorgeassent plus le canal indestructible que la Nature avait fait elle-même, et le débarrassant des terres qui l’avaient comblé, l’irrigation serait facilitée par cette longue