Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/735

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maudissez la coupable que voici ! Epouvantée du crime, une fois commis, j’ai tout fait pour le cacher. J’avais été chargée par mon père, moi privée d’enfant, d’en conduire un à Dieu, je l’ai conduit à l’échafaud ; ah ! versez sur moi tous les reproches, accablez-moi, voici l’heure !

En disant ces paroles, ses yeux étincelaient d’une fierté sauvage, l’archevêque debout derrière elle, et qui la protégeait de sa crosse pastorale, quitta son attitude impassible, il voila ses yeux de sa main droite. Un cri sourd se fit entendre, comme si quelqu’un se mourait. Deux personnes, Gérard et Roubaud, reçurent dans leurs bras et emportèrent Denise Tascheron complètement évanouie. Ce spectacle éteignit un peu le feu des yeux de Véronique, elle fut inquiète ; mais sa sérénité de martyre reparut bientôt.

— Vous le savez maintenant, reprit-elle, je ne mérite ni louanges ni bénédictions pour ma conduite ici. J’ai mené pour le ciel une vie secrète de pénitences aiguës que le ciel appréciera ! Ma vie connue a été une immense réparation des maux que j’ai causés : j’ai marqué mon repentir en traits ineffaçables sur cette terre, il subsistera presque éternellement. Il est écrit dans les champs fertilisés, dans le bourg agrandi, dans les ruisseaux dirigés de la montagne dans cette plaine, autrefois inculte et sauvage, maintenant verte et productive. Il ne se coupera pas un arbre d’ici à cent ans, que les gens de ce pays ne se disent à quels remords il a dû son ombrage, reprit-elle. Cette âme repentante et qui aurait animé une longue vie utile à ce pays, respirera donc longtemps parmi vous. Ce que vous auriez dû à ses talents, à une fortune dignement acquise, est accompli par l’héritière de son repentir, par celle qui causa le crime. Tout a été réparé de ce qui revient à la société, moi seule suis chargée de cette vie arrêtée dans sa fleur, qui m’avait été confiée, et dont il va m’être demandé compte !…

Là, les larmes éteignirent le feu de ses yeux. Elle fit une pause.

— Il est enfin parmi vous un homme qui, pour avoir strictement accompli son devoir, a été pour moi l’objet d’une haine que je croyais devoir être éternelle, reprit-elle. Il a été le premier instrument de mon supplice. J’étais trop près du fait, j’avais encore les pieds trop avant dans le sang, pour ne pas haïr la Justice. Tant que ce grain de colère troublerait mon cœur, j’ai compris qu’il y aurait un reste de passion condamnable ; je n’ai rien eu à pardon-