Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/78

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vois plutôt une amie qu’une servante, dîne avec nous ? Dans ces temps d’orage, le dévouement ne peut se payer que par le cœur, et d’ailleurs, n’est-ce pas tout ce qui nous reste ?

Madame du Gua répondit à cette dernière phrase, prononcée à voix basse, par une demi-révérence un peu cérémonieuse, qui révélait son désappointement de rencontrer une femme si jolie. Puis se penchant à l’oreille de son fils : — Oh ! temps d’orage, dévouement, madame, et la servante ! dit-elle, ce ne doit pas être mademoiselle de Verneuil, mais une fille envoyée par Fouché.

Les convives allaient s’asseoir, lorsque mademoiselle de Verneuil aperçut Corentin, qui continuait de soumettre à une sévère analyse les deux inconnus, assez inquiets de ses regards.

— Citoyen, lui dit-elle, tu es sans doute trop bien élevé pour suivre ainsi mes pas. En envoyant mes parents à l’échafaud, la République n’a pas eu la magnanimité de me donner de tuteur. Si, par une galanterie chevaleresque, inouïe, tu m’as accompagnée malgré moi (et là elle laissa échapper un soupir), je suis décidée à ne pas souffrir que les soins protecteurs dont tu es si prodigue aillent jusqu’à te causer de la gêne. Je suis en sûreté ici, tu peux m’y laisser.

Elle lui lança un regard fixe et méprisant. Elle fut comprise, Corentin réprima un sourire qui fronçait presque les coins de ses lèvres rusées, et la salua d’une manière respectueuse.

— Citoyenne, dit-il, je me ferai toujours un honneur de t’obéir. La beauté est la seule reine qu’un vrai républicain puisse volontiers servir.

En le voyant partir, les yeux de mademoiselle de Verneuil brillèrent d’une joie si naïve, elle regarda Francine avec un sourire d’intelligence empreint de tant de bonheur, que madame du Gua, devenue prudente en devenant jalouse, se sentit disposée à abandonner les soupçons que la parfaite beauté de mademoiselle de Verneuil venait de lui faire concevoir.

— C’est peut-être mademoiselle de Verneuil, dit-elle à l’oreille de son fils.

— Et l’escorte ? lui répondit le jeune homme, que le dépit rendait sage. Est-elle prisonnière ou protégée, amie ou ennemie du gouvernement ?

Madame du Gua cligna des yeux comme pour dire qu’elle saurait bien éclaircir ce mystère. Cependant le départ de Corentin