Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/80

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pleurez, si ce qu’il vous plaît d’appeler un bonheur vous attriste ainsi ?

Ce sourire, accompagné d’un regard agressif qui détruisit l’harmonie de ce masque de candeur, rendit un peu d’espoir au marin. Mais inspirée par sa nature qui entraîne la femme à toujours faire trop ou trop peu, tantôt mademoiselle de Verneuil semblait s’emparer de ce jeune homme par un coup d’œil où brillaient les fécondes promesses de l’amour : puis, tantôt elle opposait à ses galantes expressions une modestie froide et sévère ; vulgaire manège sous lequel les femmes cachent leurs véritables émotions. Un moment, un seul, où chacun d’eux crut trouver chez l’autre des paupières baissées, ils se communiquèrent leurs véritables pensées ; mais ils furent aussi prompts à voiler leurs regards qu’ils l’avaient été à confondre cette lumière qui bouleversa leurs cœurs en les éclairant. Honteux de s’être dit tant de choses en un seul coup d’œil, ils n’osèrent plus se regarder. Mademoiselle de Verneuil, jalouse de détromper l’inconnu, se renferma dans une froide politesse, et parut même attendre la fin du repas avec impatience.

— Mademoiselle, vous avez dû bien souffrir en prison ? lui demanda madame du Gua.

— Hélas ! madame, il me semble que je n’ai pas cessé d’y être.

— Votre escorte est-elle destinée à vous protéger, mademoiselle, ou à vous surveiller ? Êtes-vous précieuse ou suspecte à la République ?

Mademoiselle de Verneuil comprit instinctivement qu’elle inspirait peu d’intérêt à madame du Gua, et s’effaroucha de cette question.

— Madame, répondit-elle, je ne sais pas bien précisément quelle est en ce moment la nature de mes relations avec la République.

— Vous la faites peut-être trembler ? dit le jeune homme avec un peu d’ironie.

— Pourquoi ne pas respecter les secrets de mademoiselle ? reprit madame du Gua.

— Oh ! madame, les secrets d’une jeune personne qui ne connaît encore de la vie que ses malheurs, ne sont pas bien curieux.

— Mais, répondit madame du Gua pour continuer une conversa-