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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

paradis de ses heures studieuses, avec les délices de la conception, l’artiste fatigué demande, soit comme Dieu le repos du dimanche, soit comme le diable les voluptés de l’enfer, afin d’opposer le travail des sens au travail de ses facultés. Le délassement de lord Byron ne pouvait pas être le boston babillard qui charme un rentier : poète, il voulait la Grèce à jouer contre Mahmoud. En guerre, l’homme ne devient-il pas un ange exterminateur, une espèce de bourreau, mais gigantesque. Ne faut-il pas des enchantements bien extraordinaires pour nous faire accepter ces atroces douleurs, ennemies de notre frêle enveloppe, qui entourent les passions comme d’une enceinte épineuse ? S’il se roule convulsivement et souffre une sorte d’agonie après avoir abusé du tabac, le fumeur n’a-t-il pas assisté je ne sais en quelles régions à de délicieuses fêtes ? Sans se donner le temps d’essuyer ses pieds qui trempent dans le sang jusqu’à la cheville, l’Europe n’a-t-elle pas sans cesse recommencé la guerre ? L’homme en masse a-t-il donc aussi son ivresse, comme la nature a ses accès d’amour ! Pour l’homme privé, pour le Mirabeau qui végète sous un règne paisible et rêve des tempêtes, la débauche comprend tout ; elle est une perpétuelle étreinte de toute la vie, ou mieux, un duel avec une puissance inconnue, avec un monstre : d’abord le monstre épouvante, il faut l’attaquer par les cornes, c’est des fatigues inouïes, la nature vous a donné je ne sais quel estomac étroit ou paresseux ? vous le domptez, vous l’élargissez, vous apprenez à porter le vin, vous apprivoisez l’ivresse, vous passez les nuits sans sommeil, vous vous faites enfin un tempérament de colonel de cuirassiers, en vous créant vous-même une seconde fois, comme pour fronder Dieu ! Quand l’homme s’est ainsi métamorphosé, quand, vieux soldat, le néophyte a façonné son âme à l’artillerie, ses jambes à la marche, sans encore appartenir au monstre, mais sans savoir entre eux quel est le maître, ils se roulent l’un sur l’autre, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, dans une sphère où tout est merveilleux, où s’endorment les douleurs de l’âme, où revivent seulement des fantômes d’idées. Déjà cette lutte atroce est devenue nécessaire. Réalisant ces fabuleux personnages qui, selon les légendes, ont vendu leur âme au diable pour en obtenir la puissance de mal faire, le dissipateur a troqué sa mort contre toutes les jouissances de la vie, mais abondantes, mais fécondes ! Au lieu de couler long-temps entre deux rives monotones, au fond