Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/335

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douceur constante ; car notre nature nous porte à ressentir plus de douleur d’une dissonance dans la félicité, que nous n’éprouvons de plaisir à rencontrer une jouissance dans le malheur.

Quelques instants après, Balthazar parut se réveiller, regarda vivement autour de lui, et dit :

« Vêpres ? Ah ! les enfants sont à vêpres. » Il fit quelques pas pour jeter les yeux sur le jardin où s’élevaient de toutes parts de magnifiques tulipes, mais il s’arrêta tout à coup comme s’il se fût heurté contre un mur, et s’écria : « Pourquoi ne se combineraient-ils pas dans un temps donné ? »

« Deviendrait-il donc fou ? » se dit sa femme avec une profonde terreur.

Pour donner plus d’intérêt à la scène que provoqua cette situation, il est indispensable de jeter un coup d’œil sur la vie antérieure de Balthazar Claës et de la petite-fille du duc de Casa-Réal.

Vers l’an 1783, M. Balthazar Claës-Molina de Nourho, alors âgé de vingt-deux ans, pouvait passer pour ce que nous appelons en France un bel homme. Il vint achever son éducation à Paris où il prit d’excellentes manières dans la société de Mme d’Egmont, du comte de Horn, du prince d’Aremberg, de l’ambassadeur d’Espagne, d’Helvétius, des Français originaires de Belgique, ou des personnes venues de ce pays, et que leur naissance ou leur fortune faisaient compter parmi les grands seigneurs qui, dans ce temps, donnaient le ton. Le jeune Claës y trouva quelques parents et des amis qui le lancèrent dans le grand monde au moment où ce grand monde allait tomber ; mais comme la plupart des jeunes gens, il fut plus séduit d’abord par la gloire et la science que par la vanité. Il fréquenta donc beaucoup les savants et particulièrement Lavoisier, qui se recommandait alors plus à l’attention publique par l’immense fortune d’un fermier général, que par ses découvertes en chimie ; tandis que plus tard, le grand chimiste devait faire oublier le petit fermier général. Balthazar se passionna pour la science que cultivait Lavoisier et devint son plus ardent disciple, mais il était jeune, beau comme le fut Helvétius, et les femmes de Paris lui apprirent bientôt à distiller exclusivement l’esprit et l’amour.

Quoiqu’il eût embrassé l’étude avec ardeur, que Lavoisier lui eût accordé quelques éloges, il abandonna son maître pour écouter les maîtresses du goût auprès desquelles les jeunes gens prenaient leurs dernières leçons de savoir-vivre et se façonnaient aux usages de la haute société qui, dans l’Europe, forme une même