Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/352

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les conjectures de la ville.

Mme Claës, justement alarmée, fut forcée, elle si fière, de questionner le notaire de son mari, de le mettre dans le secret de ses douleurs ou de les lui laisser deviner, et d’entendre enfin cette humiliante question : « Comment M. Claës ne vous a-t-il encore rien dit ? » Heureusement le notaire de Balthazar lui était presque parent, et voici comment. Le grand-père de M. Claës avait épousé une Pierquin d’Anvers, de la même famille que les Pierquin de Douai. Depuis ce mariage, ceux-ci, quoique étrangers aux Claës, les traitaient de cousins. M. Pierquin, jeune homme de vingt-six ans qui venait de succéder à la charge de son père, était la seule personne qui eût accès dans la Maison Claës. Mme Balthazar avait depuis plusieurs mois vécu dans une si complète solitude que le notaire fut obligé de lui confirmer la nouvelle des désastres déjà connus dans toute la ville. Il lui dit que, vraisemblablement, son mari devait des sommes considérables à la maison qui lui fournissait des produits chimiques. Après s’être enquis de la fortune et de la considération dont jouissait M. Claës, cette maison accueillait toutes ses demandes et faisait les envois sans inquiétude, malgré l’étendue des crédits. Mme Claës chargea Pierquin de demander le mémoire des fournitures faites à son mari. Deux mois après, MM. Protez et Chiffreville, fabricants de produits chimiques, adressèrent un arrêté de compte, qui montait à cent mille francs. Mme Claës et Pierquin étudièrent cette facture avec une surprise croissante. Si beaucoup d’articles, exprimés scientifiquement ou commercialement, étaient pour eux inintelligibles, ils furent effrayés de voir portés en compte des parties de métaux, des diamants de toutes les espèces, mais en petites quantités. Le total de la dette s’expliquait facilement par la multiplicité des articles, par les précautions que nécessitait le transport de certaines substances ou l’envoi de quelques machines précieuses, par le prix exorbitant de plusieurs produits qui ne s’obtenaient que difficilement, ou que leur rareté rendait chers, enfin par la valeur des instruments de physique ou de chimie confectionnés d’après les instructions de M. Claës.

Le notaire, dans l’intérêt de son cousin, avait pris des renseignements sur les Protez et Chiffreville, et la probité de ces négociants devait rassurer sur la moralité de leurs opérations avec M. Claës à qui, d’ailleurs, ils faisaient souvent part des résultats obtenus par les chimistes de Paris, afin de lui éviter des dépenses. Mme Claës