Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/442

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— Qu’il s’arrête donc dès aujourd’hui, s’écria Marguerite, nous sommes sans ressources. »

M. de Solis alla racheter les lettres de change et vint les remettre à Marguerite. Balthazar descendit quelques moments avant le dîner, contre son habitude. Pour la première fois, depuis deux ans, sa fille aperçut dans sa physionomie les signes d’une tristesse horrible à voir : il était redevenu père, la raison avait chassé la Science ; il regarda dans la cour, dans le jardin, et quand il fut certain de se trouver seul avec sa fille, il vint à elle par un mouvement plein de mélancolie et de bonté.

« Mon enfant, dit-il en lui prenant la main et la lui serrant avec une onctueuse tendresse, pardonne à ton vieux père. Oui, Marguerite, j’ai eu tort. Toi seule as raison. Tant que je n’aurai pas trouvé, je suis un misérable ! Je m’en irai d’ici. Je ne veux pas voir vendre Van Claës, dit-il en montrant le portrait du martyr. Il est mort pour la Liberté, je serai mort pour la Science, lui vénéré, moi haï.

— Haï, mon père ? non, dit-elle en se jetant sur son sein, nous vous adorons tous. N’est-ce pas, Félicie ? dit-elle à sa sœur qui entrait en ce moment.

— Qu’avez-vous, mon cher père ? dit la jeune fille en lui prenant la main.

— Je vous ai ruinés.

— Hé ! dit Félicie, nos frères nous feront une fortune. Jean est toujours le premier dans sa classe.

— Tenez, mon père, reprit Marguerite en amenant Balthazar par un mouvement plein de grâce et de câlinerie filiale devant la cheminée où elle prit quelques papiers qui étaient sous le cartel, voici vos lettres de change ; mais n’en souscrivez plus, il n’y aurait plus rien pour les payer…

— Tu as donc de l’argent », dit Balthazar à l’oreille de Marguerite quand il fut revenu de sa surprise.

Ce mot suffoqua cette héroïque fille, tant il y avait de délire, de joie, d’espérance dans la figure de son père qui regardait autour de lui, comme pour découvrir de l’or.

« Mon père, dit-elle avec un accent de douleur, j’ai ma fortune.

— Donne-la-moi, dit-il en laissant échapper un geste avide, je te rendrai tout au centuple.

— Oui, je vous la donnerai, répondit Marguerite en contemplant