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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

— Est-ce ma faute, à moi, si le catholicisme arrive à mettre un million de dieux dans un sac de farine, si la république aboutit toujours à quelque Robespierre, si la royauté se trouve entre l’assassinat de Henri IV et le jugement de Louis XVI, si le libéralisme devient La Fayette ?

— L’avez-vous embrassé en juillet ?

— Non.

— Alors taisez-vous, sceptique.

— Les sceptiques sont les hommes les plus consciencieux.

— Ils n’ont pas de conscience.

— Que dites-vous ? ils en ont au moins deux.

— Escompter le ciel ! monsieur, voilà une idée vraiment commerciale. Les religions antiques n’étaient qu’un heureux développement du plaisir physique ; mais nous autres nous avons développé l’âme et l’espérance ; il y a eu progrès.

— Hé ! mes bons amis, que pouvez-vous attendre d’un siècle repu de politique ? dit Nathan. Quel a été le sort de Smarra, la plus ravissante conception…..

— Smarra ! cria le jugeur d’un bout de la table à l’autre. Ce sont des phrases tirées au hasard dans un chapeau. Véritable ouvrage écrit pour Charenton.

— Vous êtes un sot !

— Vous êtes un drôle !

— Oh ! oh !

— Ah ! ah !

— Ils se battront.

— Non.

— À demain, monsieur.

— À l’instant, répondit Nathan.

— Allons ! allons ! vous êtes deux braves.

— Vous en êtes un autre ! dit le provocateur.

— Ils ne peuvent seulement pas se mettre debout.

— Ah ! je ne me tiens pas droit, peut-être ! reprit le belliqueux Nathan en se dressant comme un cerf-volant indécis. Il jeta sur la table un regard hébété, puis comme exténué par cet effort, il retomba sur sa chaise, pencha la tête et resta muet.

— Ne serait-il pas plaisant, dit le jugeur à son voisin, de me battre pour un ouvrage que je n’ai jamais vu ni lu !

— Émile, prends garde à ton habit, ton voisin pâlit, dit Bixiou.