Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 14.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
ÉTUDES PHILOSOPHIQUES.

ainsi que le prix de certaines coupes de bois faites de 1814 à 1817 ; dans ce cas, le bien de ma mère suffisait à peine pour sauver l’honneur de notre nom. Ainsi, le jour où mon père parut en quelque sorte m’avoir émancipé, je tombai sous le joug le plus odieux. Je dus combattre comme sur un champ de bataille, travailler nuit et jour, aller voir des hommes d’état, tâcher de surprendre leur religion, tenter de les intéresser à notre affaire, les séduire, eux, leurs femmes, leurs valets, leurs chiens, et déguiser cet horrible métier sous des formes élégantes, sous d’agréables plaisanteries. Je compris tous les chagrins dont l’empreinte flétrissait la figure de mon père. Pendant une année environ, je menai donc en apparence la vie d’un homme du monde, mais cette dissipation et mon empressement à me lier avec des parents en faveur ou avec des gens qui pouvaient nous être utiles, cachaient d’immenses travaux. Mes divertissements étaient encore des plaidoiries, et mes conversations des mémoires. Jusque-là, j’avais été vertueux par l’impossibilité de me livrer à mes passions de jeune homme ; mais craignant alors de causer la ruine de mon père ou la mienne par une négligence, je devins mon propre despote, et n’osai me permettre ni un plaisir ni une dépense. Lorsque nous sommes jeunes, quand, à force de froissements, les hommes et les choses ne nous ont point encore enlevé cette délicate fleur de sentiment, cette verdeur de pensée, cette noble pureté de conscience qui ne nous laisse jamais transiger avec le mal, nous sentons vivement nos devoirs ; notre honneur parle haut et se fait écouter ; nous sommes francs et sans détour : ainsi étais-je alors. Je voulus justifier la confiance de mon père. Naguère, je lui aurais dérobé délicieusement une chétive somme ; mais portant avec lui le fardeau de ses affaires, de son nom, de sa maison, je lui eusse donné secrètement mes biens, mes espérances, comme je lui sacrifiais mes plaisirs ; heureux même de mon sacrifice ! Aussi, quand monsieur de Villèle exhuma, tout exprès pour nous, un décret impérial sur les déchéances, et nous eut ruinés, signai-je la vente de mes propriétés, n’en gardant qu’une île sans valeur, située au milieu de la Loire, et où se trouvait le tombeau de ma mère. Aujourd’hui, peut-être, les arguments, les détours, les discussions philosophiques, philanthropiques et politiques ne me manqueraient pas pour me dispenser de faire ce que mon avoué nommait une bêtise. Mais à vingt et un ans, nous sommes, je le