Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/212

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à faux toupets. Le héros est là sur le bord du lit, vous n’avez donc qu’à en figurer la base, cachée par des linges, par des draperies. Il est là comme Marius sur les ruines de Carthage, les bras croisés, la tête rasée, Napoléon à Sainte-Hélène, quoi ! Dalila est à genoux, à peu près comme la Madeleine de Canova. Quand une fille a ruiné son homme, elle l’adore. Selon moi, la Juive a eu peur de Samson, terrible, puissant, mais elle a dû aimer Samson devenu petit garçon. Donc, Dalila déplore sa faute, elle voudrait rendre à son amant ses cheveux, elle n’ose pas le regarder, et elle le regarde en souriant, car elle aperçoit son pardon dans la faiblesse de Samson. Ce groupe, et celui de la farouche Judith, seraient la femme expliquée. La Vertu coupe la tête, le Vice ne vous coupe que les cheveux. Prenez garde à vos toupets, messieurs !

Et elle laissa les deux artistes confondus, qui firent, avec la critique, un concert de louanges en son honneur.

— On n’est pas plus délicieuse ! s’écria Stidmann.

— Oh ! c’est, dit Claude Vignon, la femme la plus intelligente et la plus désirable que j’aie vue. Réunir l’esprit et la beauté, c’est si rare !

— Si vous, qui avez eu l’honneur de connaître intimement Camille Maupin, vous lancez de pareils arrêts, répondit Stidmann, que devons-nous penser ?

— Si vous voulez faire de Dalila, mon cher comte, un portrait de Valérie, dit Crevel qui venait de quitter le jeu pour un moment et qui avait tout entendu, je vous paye un exemplaire de ce groupe mille écus. Oh ! oui, sapristi ! mille écus, je me fends !

— Je me fends ! qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Beauvisage à Claude Vignon.

— Il faudrait que madame daignât poser… dit Steinbock en montrant Valérie à Crevel. Demandez-lui.

En ce moment, Valérie apportait elle-même à Steinbock une tasse de thé. C’était plus qu’une distinction, c’était une faveur. Il y a, dans la manière dont une femme s’acquitte de cette fonction, tout un langage ; mais les femmes le savent bien ; aussi est-ce une étude curieuse à faire que celle de leurs mouvements, de leurs gestes, de leurs regards, de leur ton, de leur accent, quand elles accomplissent cet acte de politesse en apparence si simple. Depuis la demande : Prenez-vous du thé ?  — Voulez-vous du thé ?  — Une tasse de thé ?  — froidement formulée, et l’ordre d’en