Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/238

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donc de la brouille dans le ménage, et nous avons fait un coup de tête ?… Ce n’est pas d’une fille bien élevée. Mon Hortense ne devait pas prendre à elle seule un parti décisif, comme celui de quitter sa maison, d’abandonner son mari, sans consulter ses parents. Si ma chère Hortense était venue voir sa bonne et excellente mère, elle ne m’aurait pas causé le violent chagrin que je ressens !… Tu ne connais pas le monde, il est bien méchant. On peut dire que c’est ton mari qui t’a renvoyée à tes parents. Les enfants élevés, comme vous, dans le giron maternel, restent plus long-temps enfants que les autres, ils ne savent pas la vie ! La passion naïve et fraîche, comme celle que tu as pour Wenceslas, ne calcule malheureusement rien, elle est toute à ses premiers mouvements. Notre petit cœur part, la tête suit. On brûlerait Paris pour se venger, sans penser à la cour d’assises ! Quand ton vieux père vient te dire que tu n’as pas gardé les convenances, tu peux le croire ; et je ne te parle pas encore de la profonde douleur que j’ai ressentie, elle est bien amère, car tu jettes le blâme sur une femme dont le cœur ne t’est pas connu, dont l’inimitié peut devenir terrible… Hélas ! toi, si pleine de candeur, d’innocence, de pureté, tu ne doutes de rien : tu peux être salie, calomniée. D’ailleurs, mon cher petit ange, tu as pris au sérieux une plaisanterie, et je puis, moi, te garantir l’innocence de ton mari. Madame Marneffe…

Jusque-là le baron, comme un artiste en diplomatie, modulait admirablement bien ses remontrances. Il avait, comme on le voit, supérieurement ménagé l’introduction de ce nom ; mais, en l’entendant, Hortense fit le geste d’une personne blessée au vif.

— Écoutez-moi, j’ai de l’expérience et j’ai tout observé, reprit le père en empêchant sa fille de parler. Cette dame traite ton mari très-froidement. Oui, tu as été l’objet d’une mystification, je vais t’en donner les preuves. Tiens, hier Wenceslas était à dîner…

— Il y dînait ?… demanda la jeune femme en se dressant sur ses pieds et regardant son père avec l’horreur peinte sur le visage. Hier ! après avoir lu ma lettre ?… Oh ! mon Dieu !… Pourquoi ne suis-je pas entrée dans un couvent, au lieu de me marier ! Ma vie n’est plus à moi, j’ai un enfant ! ajouta-t-elle en sanglotant.

Ces larmes atteignirent madame Hulot au cœur, elle sortit de sa chambre, elle courut à sa fille, la prit dans ses bras, et lui fit de ces questions stupides de douleur, les premières qui viennent sur les lèvres.