Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/289

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— Votre conscience ne vous dit-elle rien ? demanda le maréchal de sa voix sourde et grave.

— Elle me dit, mon prince, que j’ai probablement tort de faire, sans vous en parler, des razzias en Algérie. À mon âge et avec mes goûts, après quarante-cinq ans de services, je suis sans fortune. Vous connaissez les principes des quatre cents élus de la France. Ces messieurs envient toutes les positions, ils ont rogné le traitement des ministres, c’est tout dire !… allez donc leur demander de l’argent pour un vieux serviteur !… Qu’attendre de gens qui payent aussi mal qu’elle l’est la magistrature ? qui donnent trente sous par jour aux ouvriers du port de Toulon, quand il y a impossibilité matérielle d’y vivre à moins de quarante sous pour une famille ? qui ne réfléchissent pas à l’atrocité des traitements d’employés à six cents, à mille et à douze cents francs dans Paris, et qui pour eux veulent nos places quand les appointements sont de quarante mille francs ?… enfin, qui refusent à la Couronne un bien de la Couronne confisqué en 1830 à la Couronne, et un acquêt fait des deniers de Louis XVI encore ! quand on le leur demandait pour un prince pauvre !… Si vous n’aviez pas de fortune, on vous laisserait très-bien, mon prince, comme mon frère, avec votre traitement tout sec, sans se souvenir que vous avez sauvé la Grande-Armée, avec moi, dans les plaines marécageuses de la Pologne.

— Vous avez volé l’État, vous vous êtes mis dans le cas d’aller en Cour d’Assises, dit le maréchal, comme ce caissier du Trésor, et vous prenez cela, monsieur, avec cette légèreté ?…

— Quelle différence, monseigneur ! s’écria le baron Hulot. Ai-je plongé les mains dans une caisse qui m’était confiée ?…

— Quand on commet de pareilles infamies, dit le maréchal, on est deux fois coupable, dans votre position, de faire les choses avec maladresse. Vous avez compromis ignoblement notre haute administration, qui jusqu’à présent est la plus pure de l’Europe !… Et cela, monsieur, pour deux cent mille francs et pour une gueuse !… dit le maréchal d’une voix terrible. Vous êtes Conseiller-d’État, et l’on punit de mort le simple soldat qui vend les effets du régiment. Voici ce que m’a dit un jour le colonel Pourin, du deuxième lanciers. À Saverne, un de ses hommes aimait une petite Alsacienne qui désirait un châle ; la drôlesse fit tant, que ce pauvre diable de lancier, qui devait être promu maréchal-des-logis-chef, après vingt ans de services, l’honneur du régiment, a vendu, pour donner ce