Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/298

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— Mon frère ! dit Adeline en venant s’agenouiller devant le maréchal, vivez pour moi ! Aidez-moi dans l’œuvre que j’entreprendrai de réconcilier Hector avec la vie, de lui faire racheter ses fautes !…

— Lui ! dit le maréchal, s’il vit, il n’est pas au bout de ses crimes ! Un homme qui a méconnu une Adeline, et qui a éteint en lui les sentiments du vrai républicain, cet amour du Pays, de la Famille et du Pauvre que je m’efforçais de lui inculquer, cet homme est un monstre, un pourceau… Emmenez-le, si vous l’aimez encore, car je sens en moi une voix qui me crie de charger mes pistolets et de lui faire sauter la cervelle ! En le tuant, je vous sauverais tous, et je le sauverais de lui-même.

Le vieux maréchal se leva par un mouvement si redoutable, que la pauvre Adeline s’écria :  — Viens, Hector ! Elle saisit son mari, l’emmena, quitta la maison, entraînant le baron, si défait, qu’elle fut obligée de le mettre en voiture pour le transporter rue Plumet, où il prit le lit. Cet homme, quasi-dissous, y resta plusieurs jours, refusant toute nourriture sans dire un mot. Adeline obtenait à force de larmes qu’il avalât des bouillons ; elle le gardait, assise à son chevet, et ne sentant plus, de tous les sentiments qui naguère lui remplissaient le cœur, qu’une pitié profonde.

À midi et demi, Lisbeth introduisit dans le cabinet de son cher maréchal, qu’elle ne quittait pas, tant elle fut effrayée des changements qui s’opéraient en lui, le notaire et le comte Steinbock.

— Monsieur le comte, dit le maréchal, je vous prie de signer l’autorisation nécessaire à ma nièce, votre femme, pour vendre une inscription de rentes dont elle ne possède encore que la nue propriété. Mademoiselle Fischer, vous acquiescerez à cette vente en abandonnant votre usufruit.

— Oui, cher comte, dit Lisbeth sans hésiter.

— Bien, ma chère, répondit le vieux soldat. J’espère vivre assez pour vous récompenser. Je ne doutais pas de vous : vous êtes une vraie républicaine, une fille du peuple.

Il prit la main de la vieille fille et y mit un baiser.

— Monsieur Hannequin, dit-il au notaire, faites l’acte nécessaire sous forme de procuration, que je l’aie d’ici à deux heures, afin de pouvoir vendre la rente à la Bourse d’aujourd’hui. Ma nièce, la comtesse, a le titre ; elle va venir, elle signera l’acte quand vous