Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/320

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— Quel homme est-ce ? dit Lisbeth.

— Mademoiselle, il est en haillons, il a du duvet sur lui comme un matelassier, il a le nez rouge, il sent le vin et l’eau-de-vie… C’est un de ces ouvriers qui travaillent à peine la moitié de la semaine.

Cette description peu engageante eut pour effet de faire aller vivement Lisbeth dans la cour de la maison de la rue Louis-le-Grand, où elle trouva l’homme fumant une pipe dont le culottage annonçait un artiste en fumerie.

— Pourquoi venez-vous ici, père Chardin ? lui dit-elle. Il est convenu que vous serez tous les premiers samedis de chaque mois à la porte de l’hôtel Marneffe, rue Barbet-de-Jouy ; j’en arrive après y être restée cinq heures, et vous n’y êtes pas venu ?…

— J’y suit été, ma respectable et charitable demoiselle ! répondit le matelassier ; maiz-i-le y avait une poule d’honneur au café des Savants, rue du Cœur-Volant, et chacun a ses passions. Moi c’est le billard. Sans le billard, je mangerais dans l’argent ; car, saisissez bien ceci ! dit-il en cherchant un papier dans le gousset de son pantalon déchiré, le billard entraîne le petit verre et la prune à l’eau-de-vie… C’est ruineux, comme toutes les belles choses, par les accessoires. Je connais la consigne, mais le vieux est dans un si grand embarras, que je suis venu sur le terrain défendu… Si notre crin était tout crin, on se laisserait dormir dessus ; mais il a du mélange ! Dieu n’est pas pour tout le monde, comme on dit, il a des préférences ; c’est son droit. Voici l’écriture de votre parent estimable et très-ami du matelas… C’est là son opinion politique.

Le père Chardin essaya de tracer dans l’atmosphère des zigzags avec l’index de sa main droite.

Lisbeth, sans écouter, lisait ces deux lignes :

« Chère cousine, soyez ma providence ! Donnez-moi trois cents francs aujourd’hui.

» Hector. »

— Pourquoi veut-il tant d’argent ?

— Le popriétaire ! dit le père Chardin qui tâchait toujours de dessiner des arabesques. Et puis, mon fils est revenu de l’Algérie par l’Espagne, Bayonne et… il n’a rien pris, contre son habitude ; car, c’est un guerdin fini, sous votre respect, mon fils. Que voulez-vous ? il a faim ; mais il va vous rendre ce que nous lui prê-