Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/334

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agrandies en trous ovales soufflaient le feu de l’enfer, rappelait le bec des plus mauvais oiseaux de proie. Le génie de l’intrigue siégeait sur son front bas et cruel. Ses longs poils de barbe poussés au hasard dans tous les creux de son visage, annonçaient la virilité de ses projets. Quiconque eût vu cette femme, aurait pensé que tous les peintres avaient manqué la figure de Méphistophélès…

— Mon cher monsieur, dit-elle d’un ton de protection, je ne me mêle plus de rien depuis long-temps. Ce que je vais faire pour vous, c’est par considération pour mon cher neveu, que j’aime mieux que je n’aimerais mon fils… Or, le préfet de police, à qui le président du conseil a dit deux mots dans le tuyau de l’oreille, rapport à vous, en conférant avec monsieur Chapuzot, a pensé que la police ne devait paraître en rien dans une affaire de ce genre-là. L’on a donné carte blanche à mon neveu ; mais mon neveu ne sera là-dedans que pour le conseil, il ne doit pas se compromettre…

— Vous êtes la tante de…

— Vous y êtes, et j’en suis un peu orgueilleuse, répondit-elle en coupant la parole à l’avocat, car il est mon élève, un élève devenu promptement le maître… Nous avons étudié votre affaire, et nous avons jaugé ça ! Donnez-vous trente mille francs si l’on vous débarrasse de tout ceci ? je vous liquide la chose ! et vous ne payez que l’affaire faite…

— Vous connaissez les personnes ?

— Non, mon cher monsieur, j’attends vos renseignements. On nous a dit : Il y a un benêt de vieillard qui est entre les mains d’une veuve. Cette veuve de vingt-neuf ans a si bien fait son métier de voleuse qu’elle a quarante mille francs de rente prises à deux pères de famille. Elle est sur le point d’engloutir quatre-vingt mille francs de rente en épousant un bonhomme de soixante et un ans ; elle ruinera toute une honnête famille, et donnera cette immense fortune à l’enfant de quelque amant, en se débarrassant promptement de son vieux mari… Voilà le problème.

— C’est exact ! dit Victorin. Mon beau-père, monsieur Crevel…

— Ancien parfumeur, un maire ; je suis dans son arrondissement sous le nom de mame Nourrisson, répondit-elle.

— L’autre personne est madame Marneffe.

— Je ne la connais pas, dit madame Saint-Estève ; mais, en trois jours, je serai à même de compter ses chemises.

— Pourriez-vous empêcher le mariage ?… demanda l’avocat.