Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/34

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comme le sont les amateurs devant un Raphaël ; aussi, la voyant, l’ordonnateur fit-il, de mademoiselle Adeline Fischer, sa femme dans le temps légal, au grand étonnement des Fischer, tous nourris dans l’admiration de leurs supérieurs.

L’aîné, soldat de 1792, blessé grièvement à l’attaque des lignes de Wissembourg, adorait l’empereur Napoléon et tout ce qui tenait à la Grande-Armée. André et Johann parlaient avec respect de l’ordonnateur Hulot, ce protégé de l’Empereur à qui, d’ailleurs, ils devaient leur sort, car Hulot d’Ervy, leur trouvant de l’intelligence et de la probité, les avait tirés des charrois de l’armée pour les mettre à la tête d’une Régie d’urgence. Les frères Fischer avaient rendu des services pendant la campagne de 1804. Hulot, à la paix, leur avait obtenu cette fourniture des fourrages en Alsace, sans savoir qu’il serait envoyé plus tard à Strasbourg pour y préparer la campagne de 1806.

Ce mariage fut, pour la jeune paysanne, comme une Assomption. La belle Adeline passa sans transition des boues de son village dans le paradis de la cour impériale. En effet, dans ce temps-là, l’ordonnateur, l’un des travailleurs les plus probes, les plus actifs de son corps, fut nommé baron, appelé près de l’Empereur, et attaché à la garde impériale. Cette belle villageoise eut le courage de faire son éducation par amour pour son mari, de qui elle fut exactement folle. L’ordonnateur en chef était d’ailleurs en homme, une réplique d’Adeline en femme. Il appartenait au corps d’élite des beaux hommes. Grand, bien fait, blond, l’œil bleu et d’un feu, d’un jeu, d’une nuance irrésistibles, la taille élégante, il était remarqué parmi les d’Orsay, les Forbin, les Ouvrard, enfin dans le bataillon des beaux de l’Empire. Homme à conquêtes et imbu des idées du Directoire en fait de femmes, sa carrière galante fut alors interrompue pendant assez long-temps par son attachement conjugal.

Pour Adeline, le baron fut donc, dès l’origine, une espèce de Dieu qui ne pouvait faillir ; elle lui devait tout : la fortune, elle eut voiture, hôtel, et tout le luxe du temps ; le bonheur, elle était aimée publiquement ; un titre, elle était baronne ; enfin la célébrité, on l’appela la belle madame Hulot, à Paris ; enfin, elle eut l’honneur de refuser les hommages de l’Empereur qui lui fit présent d’une rivière en diamants, et qui la distingua toujours, car il demandait de temps en temps : « Et la belle madame Hulot,