Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/449

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put trouver un supplément de paye qu’en déployant la capacité financière d’un enfant issu des Virlaz. Malgré son assiduité, peut-être à cause de ses talents, le Francfourtois n’atteignit à deux mille francs qu’en 1843. La Misère, cette divine marâtre, fit pour ces deux jeunes gens ce que leurs mères n’avaient pu faire, elle leur apprit l’économie, le monde et la vie ; elle leur donna cette grande, cette forte éducation qu’elle dispense à coups d’étrivières aux grands hommes, tous malheureux dans leur enfance. Fritz et Wilhem, étant des hommes assez ordinaires, n’écoutèrent point toutes les leçons de la Misère, ils se défendirent de ses atteintes, ils lui trouvèrent le sein dur, les bras décharnés, et ils n’en dégagèrent point cette bonne fée Urgèle qui cède aux caresses des gens de génie. Néanmoins ils apprirent toute la valeur de la fortune, et se promirent de lui couper les ailes, si jamais elle revenait à leur porte.

— Eh bien ! papa Schmucke, tout va vous être expliqué en un mot, reprit Wilhem qui raconta longuement cette histoire en allemand au pianiste. Le père Brunner est mort. Il était, sans que son fils ni monsieur Graff, chez qui nous logeons, en sussent rien, l’un des fondateurs des chemins de fer badois, avec lesquels il a réalisé des bénéfices immenses, et il laisse quatre millions. Je joue ce soir de la flûte pour la dernière fois. Si ce n’était pas une première représentation, je m’en serais allé depuis quelques jours, mais je n’ai pas voulu faire manquer ma partie.

C’esdre pien, cheûne homme, dit Schmucke. Mais qui ébisez-fus ?

— La fille de monsieur Graff, notre hôte, le propriétaire de l’hôtel du Rhin. J’aime mademoiselle Émilie depuis sept ans, elle a lu tant de romans immoraux qu’elle a refusé tous les partis pour moi, sans savoir ce qui en adviendrait. Cette jeune personne sera très-riche, elle est l’unique héritière des Graff, les tailleurs de la rue de Richelieu. Fritz me donne cinq fois ce que nous avons mangé ensemble à Strasbourg, cinq cent mille francs !… Il met un million de francs dans une maison de banque, où monsieur Graff le tailleur place cinq cent mille francs aussi ; le père de ma promise me permet d’y employer la dot, qui est de deux cent cinquante mille francs, et il nous commandite d’autant. La maison Brunner, Schwab et compagnie aura donc deux millions cinq cent mille francs de capital. Fritz vient d’acheter pour quinze cent mille francs d’actions de la banque de France, pour y garantir notre