Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/45

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d’ailleurs une innocence parfaite : elle voulait savoir pourquoi sa cousine ne s’était pas mariée. Hortense, qui connaissait l’histoire des cinq prétendus refusés, avait bâti son petit roman, elle croyait à la cousine Bette une passion au cœur, et il en résultait une guerre de plaisanteries. Hortense disait : « Nous autres jeunes filles ! » en parlant d’elle et de sa cousine. La cousine Bette avait, à plusieurs reprises, répondu d’un ton plaisant :  —  « Qui vous dit que je n’ai pas un amoureux ? » L’amoureux de la cousine Bette, faux ou vrai, devint alors un sujet de douces railleries. Enfin, après deux ans de cette petite guerre, la dernière fois que la cousine Bette était venue, le premier mot d’Hortense avait été :  —  « Comment va ton amoureux ?  — Mais bien, avait-elle répondu ; il souffre un peu, ce pauvre jeune homme. — Ah ! il est délicat ? avait demandé la baronne en riant. — Je crois bien, il est blond… Une fille charbonnée comme je le suis ne peut aimer qu’un blondin, couleur de la lune. — Mais qu’est-il ? que fait-il ? dit Hortense. Est-ce un prince ?  — Prince de l’outil, comme je suis reine de la bobine. Une pauvre fille comme moi peut-elle être aimée d’un propriétaire ayant pignon sur la rue et des rentes sur l’État, ou d’un duc et pair, ou de quelque Prince Charmant de tes contes de fées ?  — Oh ! je voudrais bien le voir… s’était écriée Hortense en souriant. — Pour savoir comment est tourné celui qui peut aimer une vieille chèvre ? avait répondu la cousine Bette. — Ce doit être un monstre de vieil employé à barbe de bouc ? avait dit Hortense en regardant sa mère. — Eh bien, c’est ce qui vous trompe, mademoiselle. — Mais tu as donc un amoureux ? avait demandé Hortense d’un air de triomphe. — Aussi vrai que tu n’en as pas ! avait répondu la cousine d’un air piqué. — Eh bien ! si tu as un amoureux, Bette, pourquoi ne l’épouses-tu pas ?… avait dit la baronne en faisant un signe à sa fille. Voilà trois ans qu’il est question de lui, tu as eu le temps de l’étudier, et s’il t’est resté fidèle, tu ne devrais pas prolonger une situation fatigante pour lui. C’est d’ailleurs une affaire de conscience ; et puis, s’il est jeune, il est temps de prendre un bâton de vieillesse. » La cousine Bette avait regardé fixement la baronne, et voyant qu’elle riait, elle avait répondu :  —  « Ce serait marier la faim et la soif ; il est ouvrier, je suis ouvrière, si nous avions des enfants, ils seraient des ouvriers… Non, non, nous nous aimons d’âme… C’est moins cher !  — Pourquoi le caches-tu ? avait demandé Hortense. — Il est en veste, avait répliqué la vieille fille en riant. —