Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/464

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rent point et profitèrent d’une superbe glace de Venise encadrée dans de monstrueux morceaux d’ébène sculptés, pour examiner le phénix des prétendus.

Frédéric, prévenu par Wilhem, avait massé le peu de cheveux qui lui restait. Il portait un joli pantalon d’une nuance douce quoique sombre, un gilet de soie d’une élégance suprême et d’une coupe neuve, une chemise à points à jour d’une toile faite à la main par une Frisonne, une cravate bleue à filets blancs. La chaîne de sa montre sortait de chez Florent et Chanor, ainsi que la pomme de sa canne. Quant à l’habit, le père Graff l’avait taillé lui-même dans le plus beau drap. Des gants de Suède annonçaient l’homme qui avait déjà mangé la fortune de sa mère. On aurait deviné le petit coupé bas, à deux chevaux, du banquier en voyant miroiter ses bottes vernies, si l’oreille des deux commères n’en avait entendu déjà le roulement dans la rue de Normandie.

Quand le débauché de vingt ans est la chrysalide d’un banquier, il éclôt à quarante ans un observateur, d’autant plus fin, que Brunner avait compris tout le parti qu’un Allemand peut tirer de sa naïveté. Il eut, pour cette matinée, l’air rêveur d’un homme qui se trouve entre la vie de famille à prendre et les dissipations de la vie de garçon à continuer. Chez un Allemand francisé, cette physionomie parut à Cécile le superlatif du romanesque. Elle vit un Werther dans l’enfant des Virlaz. Quelle est la jeune fille qui ne se permet pas un petit roman dans l’histoire de son mariage ? Cécile se regarda comme la plus heureuse des femmes, quand Brunner, à l’aspect des magnifiques œuvres collectionnées pendant quarante ans de patience, s’enthousiasma, les estima, pour la première fois, à leur valeur, à la grande satisfaction de Pons. — C’est un poëte ! se dit mademoiselle de Marville, il voit là des millions. Un poëte est un homme qui ne compte pas, qui laisse sa femme maîtresse des capitaux, un homme facile à mener et qu’on occupe de niaiseries.

Chaque carreau des deux croisées de la chambre du bonhomme était un vitrail suisse colorié, dont le moindre valait mille francs, et il comptait seize de ces chefs-d’œuvre à la recherche desquels voyagent aujourd’hui les amateurs. En 1815, ces vitraux se vendaient entre six et dix francs. Le prix des soixante tableaux qui composaient cette divine collection, chefs-d’œuvre purs, sans un repeint, authentiques, ne pouvait être connu qu’à la chaleur des