Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/487

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Dès la troisième année, on vit chez Rémonencq d’assez belles pendules, des armures, de vieux tableaux ; et il faisait, pendant ses absences, garder sa boutique par une grosse femme fort laide, sa sœur venue du pays à pied, sur sa demande. La Rémonencq, espèce d’idiote au regard vague et vêtue comme une idole japonaise, ne cédait pas un centime sur les prix que son frère indiquait ; elle vaquait d’ailleurs aux soins du ménage, et résolvait le problème en apparence insoluble de vivre des brouillards de la Seine. Rémonencq et sa sœur se nourrissaient de pain et de harengs, d’épluchures, de restes de légumes ramassés dans les tas d’ordures que les restaurateurs laissent au coin de leurs bornes. À eux deux, ils ne dépensaient pas, le pain compris, douze sous par jour, et la Rémonencq cousait ou filait de manière à les gagner.

Ce commencement du négoce de Rémonencq, venu pour être commissionnaire à Paris, et qui, de 1825 à 1831, fit les commissions des marchands de curiosités du boulevard Beaumarchais et des chaudronniers de la rue de Lappe, est l’histoire normale de beaucoup de marchands de curiosités. Les Juifs, les Normands, les Auvergnats et les Savoyards, ces quatre races d’hommes ont les mêmes instincts, ils font fortune par les mêmes moyens. Ne rien dépenser, gagner de légers bénéfices, et cumuler intérêts et bénéfices, telle est leur Charte. Et cette Charte est une vérité.

En ce moment, Rémonencq, réconcilié avec son ancien bourgeois Monistrol, en affaires avec de gros marchands ; allait chiner (le mot technique) dans la banlieue de Paris qui, vous le savez, comporte un rayon de quarante lieues. Après quatorze ans de pratique, il était à la tête d’une fortune de soixante mille francs, et d’une boutique bien garnie. Sans casuel, rue de Normandie où la modicité du loyer le retenait, il vendait ses marchandises aux marchands, en se contenant d’un bénéfice modéré. Toutes ses affaires se traitaient en patois d’Auvergne, dit Charabia. Cet homme caressait un rêve ! Il souhaitait d’aller s’établir sur les boulevards. Il voulait devenir un riche marchand de curiosités ; et traiter un jour directement avec les amateurs. Il contenait d’ailleurs un négociant redoutable. Il gardait sur sa figure un enduit poussiéreux produit par la limaille de fer et collé par la sueur, car il faisait tout lui-même ; ce qui rendait sa physionomie d’autant plus impénétrable, que l’habitude de la peine physique l’avait doué de l’impassibilité stoïque des vieux soldats de 1799. Au physique, Rémonencq apparaissait comme un