Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/511

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taqué tout aussi bien que chez Pons. Schmucke souffrait à la fois de sa douleur et de la maladie de son ami. Aussi parlait-il de Pons pendant la moitié de la leçon qu’il donnait ; il interrompait si naïvement une démonstration pour se demander à lui-même comment allait son ami, que la jeune écolière l’écoutait expliquant la maladie de Pons. Entre deux leçons, il accourait rue de Normandie pour voir Pons pendant un quart d’heure. Effrayé du vide de la caisse sociale, alarmé par madame Cibot qui, depuis quinze jours, grossissait de son mieux les dépenses de la maladie, le professeur de piano sentait ses angoisses dominées par un courage dont il ne se serait jamais cru capable. Il voulait pour la première fois de sa vie gagner de l’argent, pour que l’argent ne manquât pas au logis. Quand une écolière, vraiment touchée de la situation des deux amis, demandait à Schmucke comment il pouvait laisser Pons tout seul, il répondait, avec le sublime sourire des dupes : — Matemoiselle, nus afons montam Zibod ! eine trèssor ! eine berle ! Bons ed zoicné gomme ein brince ! Or, dès que Schmucke trottait par les rues, la Cibot était la maîtresse de l’appartement et du malade. Comment Pons, qui n’avait rien mangé depuis quinze jours, qui gisait sans force, que la Cibot était obligée de lever elle-même et d’asseoir dans une bergère pour faire le lit, aurait-il pu surveiller ce soi-disant ange gardien ? Naturellement la Cibot était allée chez Élie Magus pendant le déjeuner de Schmucke.

Elle revint pour le moment où l’Allemand disait adieu au malade ; car, depuis la révélation de la fortune possible de Pons, la Cibot ne quittait plus son célibataire, elle le couvait ! Elle s’enfonçait dans une bonne bergère, au pied du lit, et faisait à Pons, pour le distraire, ces commérages auxquels excellent ces sortes de femmes. Devenue pateline, douce, attentive, inquiète, elle s’établissait dans l’esprit du bonhomme Pons avec une adresse machiavélique, comme on va le voir.

Effrayée par la prédiction du grand jeu de madame Fontaine, la Cibot s’était promis à elle-même de réussir par des moyens doux, par une scélératesse purement morale, à se faire coucher sur le testament de son monsieur. Ignorant pendant dix ans la valeur du Musée-Pons, la Cibot se voyait dix ans d’attachement, de probité, de désintéressement devant elle, et elle se proposait d’escompter cette magnifique valeur. Depuis le jour où, par un mot plein d’or, Rémonencq avait fait éclore dans le cœur de cette femme un serpent contenu dans sa coquille pendant vingt-cinq ans, le désir