Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/515

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moi je suis désintéressée… Je ne sais pas comment il y a des femmes qui font le bien par intérêt… Ce n’est plus faire le bien, n’est-ce pas, monsieur ? … Je ne vais pas à l’église, moi ! Je n’en ai pas le temps ; mais ma conscience me dit ce qui est bien… Ne vous agitez pas comme ça, mon chat ! … ne vous grattez pas ! Mon Dieu, comme vous jaunissez ! vous êtes si jaune, que vous en devenez brun… Comme c’est drôle qu’on soit, en vingt jours, comme un citron ! … La probité, c’est le trésor des pauvres gens, il faut bien posséder quelque chose ! D’abord, vous arrivereriez à toute extrémité, par supposition, je serais la première à vous dire que vous devez donner tout ce qui vous appartient à monsieur Schmucke. C’est là votre devoir, car il est à lui seul, toute votre famille ! il vous n’aime, celui-là, comme un chien aime son maître.

— Ah ! oui ! dit Pons, je n’ai été aimé dans toute ma vie que par lui…

— Ah ! monsieur, dit madame Cibot, vous n’êtes pas gentil, et moi, donc ! je ne vous aime donc pas…

— Je ne dis pas cela, ma chère madame Cibot…

— Bon ! allez-vous pas me prendre pour une servante, une cuisinière ordinaire, comme si je n’avais pas n’un cœur ! Ah ! mon Dieu ! fendez-vous donc pendant onze ans pour deux vieux garçons ! ne soyez donc occupée que de leur bien-être, que je remuais tout chez dix fruitières, à m’y faire dire des sottises, pour vous trouver du bon fromage de Brie, que j’allais jusqu’à la Halle pour vous avoir du beurre frais, et prenez donc garde à tout, qu’en dix ans je ne vous ai rien cassé, rien écorné… Soyez donc comme une mère pour ses enfants ! Et vous n’entendre dire un ma chère madame Cibot qui prouve qu’il n’y a pas un sentiment pour vous dans le cœur du vieux monsieur que vous soignez comme un fils de roi, car le petit roi de Rome n’a pas été soigné comme vous ! … Voulez-vous parier qu’on ne l’a pas soigné comme vous ! … à preuve qu’il est mort à la fleur de son âge… Tenez, monsieur, vous n’êtes pas juste… Vous êtes un ingrat ! C’est parce que je ne suis qu’une pauvre portière. Ah ! mon Dieu ; vous croyez donc aussi, vous, que nous sommes des chiens…

— Mais, ma chère madame Cibot…

— Enfin, vous qu’êtes un savant, expliquez-moi pourquoi nous sommes traités comme ça, nous autres concierges, qu’on ne nous croit pas des sentiments, qu’on se moque de nous, dans n’un temps