Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/521

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— Ah ! voilà le docteur, dit-elle en entendant des coups de sonnette.

Et elle laissa Pons tout seul, sachant bien que le Juif et Rémonencq arrivaient.

— Ne faites pas de bruit, messieurs… dit-elle, qu’il ne s’aperçoive de rien ! car il est comme un crin dès qu’il s’agit de son trésor.

— Une simple promenade suffira, répondit le Juif armé de la loupe et d’une lorgnette.

Le salon où se trouvait la majeure partie du Musée-Pons était un de ces anciens salons comme les concevaient les architectes employés par la noblesse française, de vingt-cinq pieds de largeur sur trente de longueur et de treize pieds de hauteur. Les tableaux que possédait Pons, au nombre de soixante-sept, tenaient tous sur les quatre parois de ce salon boisé, blanc et or, mais le blanc jauni, l’or rougi par le temps offraient des tons harmonieux qui ne nuisaient point à l’effet des toiles. Quatorze statues s’élevaient sur des colonnes, soit aux angles, soit entre les tableaux, sur des gaines de Boule. Des buffets en ébène, tous sculptés et d’une richesse royale, garnissaient à hauteur d’appui le bas des murs. Ces buffets contenaient les curiosités. Au milieu du salon, une ligne de crédences en bois sculpté présentait au regard les plus grandes raretés du travail humain : les ivoires, les bronzes, les bois, les émaux, l’orfèvrerie, les porcelaines, etc.

Dès que le Juif fut dans ce sanctuaire, il alla droit à quatre chefs-d’œuvre qu’il reconnut pour les plus beaux de cette collection, et de maîtres qui manquaient à la sienne. C’était pour lui ce que sont pour les naturalistes ces desiderata qui font entreprendre des voyages du couchant à l’aurore, aux tropiques, dans les déserts, les pampas, les savanes, les forêts vierges. Le premier tableau était de Sébastien del Piombo, le second de Fra Bartholomeo della Porta, le troisième un paysage d’Hobbéma, et le dernier un portrait de femme par Albert Durer, quatre diamants ! Sébastien del Piombo se trouve, dans l’art de la peinture, comme un point brillant où trois écoles se sont donné rendez-vous pour y apporter chacune ses éminentes qualités. Peintre de Venise, il est venu à Rome y prendre le style de Raphaël, sous la direction de Michel-Ange, qui voulut l’opposer à Raphaël en luttant, dans la personne d’un de ses lieutenants, contre ce souverain pontife de l’Art. Ainsi, ce paresseux génie a fondu la couleur vénitienne, la composition florentine, le style raphaëlesque