Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/570

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La présidente inclina la tête.

— Avec des fonds qui m’étaient prêtés, et une dizaine de mille francs à moi, je sortais de chez Desroches, l’un des plus capables avoués de Paris, et j’y étais premier clerc depuis six ans. J’ai eu le malheur de déplaire au procureur du roi de Mantes, monsieur…

— Olivier Vinet.

— Le fils du procureur général, oui, madame. Il courtisait une petite dame…

— Lui !

— Madame Vatinelle…

— Ah ! madame Vatinelle… elle était bien jolie et bien… de mon temps…

— Elle avait des bontés pour moi : Indè iræ, reprit Fraisier. J’étais actif, je voulais rembourser mes amis et me marier ; il me fallait des affaires, je les cherchais ; j’en brassai bientôt à moi seul plus que les autres officiers ministériels. Bah ! j’ai eu contre moi les avoués de Mantes, les notaires et jusqu’aux huissiers. On m’a cherché chicane. Vous savez, madame, que lorsqu’on veut perdre un homme dans notre affreux métier, c’est bientôt fait. On m’a pris occupant dans une affaire pour les deux parties. C’est un peu léger ; mais, dans certains cas, la chose se fait à Paris, les avoués s’y passent la casse et le séné. Cela ne se fait pas à Mantes. Monsieur Bouyonnet, à qui j’avais rendu déjà ce petit service, poussé par ses confrères, et stimulé par le procureur du roi, m’a trahi… Vous voyez que je ne vous cache rien. Ce fut un tolle général. J’étais un fripon, l’on m’a fait plus noir que Marat. On m’a forcé de vendre ; j’ai tout perdu. Je suis à Paris où j’ai tâché de me créer un cabinet d’affaires ; mais ma santé ruinée ne me laissait pas deux bonnes heures sur les vingt-quatre de la journée. Aujourd’hui, je n’ai qu’une ambition, elle est mesquine. Vous serez un jour la femme d’un garde des sceaux, peut-être, ou d’un premier président ; mais moi, pauvre et chétif, je n’ai pas d’autre désir que d’avoir une place où finir tranquillement mes jours, un cul-de-sac, un poste où l’on végète. Je veux être juge de paix à Paris. C’est une bagatelle pour vous et pour monsieur le président que d’obtenir ma nomination, car vous devez causer assez d’ombrage au garde des sceaux actuel pour qu’il désire vous obliger… Ce n’est pas tout, madame, ajouta Fraisier en voyant la présidente prête à parler et lui faisant un geste. J’ai pour ami le médecin du