Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/597

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Le crime est toujours dénoncé par son avant-garde, par des haines, par des cupidités visibles dont sont instruits les gens aux yeux de qui l’on vit. Mais, dans les circonstances où se trouvaient le petit tailleur, Rémonencq et la Cibot, personne n’avait intérêt à chercher la cause de la mort, excepté le médecin. Ce portier maladif, cuivré, sans fortune, adoré de sa femme, était sans fortune et sans ennemis. Les motifs et la passion du brocanteur se cachaient dans l’ombre tout aussi bien que la fortune de la Cibot. Le médecin connaissait à fond la portière et ses sentiments, il la croyait capable de tourmenter Pons ; mais il la savait sans intérêt ni force pour un crime ; d’ailleurs, elle buvait une cuillerée de tisane toutes les fois que le docteur venait et qu’elle donnait à boire à son mari. Poulain, le seul de qui pouvait venir la lumière, crut à quelque hasard de maladie, à l’une de ces étonnantes exceptions qui rendent la médecine un si périlleux métier. Et en effet, le petit tailleur se trouva malheureusement, par suite de son existence rabougrie, dans des conditions de mauvaise santé telles que cette imperceptible addition d’oxyde de cuivre devait lui donner la mort. Les commères, les voisins se comportaient aussi de manière à innocenter Rémonencq en justifiant cette mort subite.

— Ah ! s’écriait l’un, il y a bien longtemps que je disais que monsieur Cibot n’allait pas bien.

— Il travaillait trop, c’t homme-là ! répondait un autre, il s’est brûlé le sang.

— Il ne voulait pas m’écouter, s’écriait un voisin, je lui conseillais de se promener le dimanche, de faire le lundi, car ce n’est pas trop de deux jours par semaine pour se divertir.

Enfin, la rumeur du quartier, si délatrice, et que la justice écoute par les oreilles du commissaire de police, ce roi de la basse classe, expliquait parfaitement la mort du petit tailleur. Néanmoins, l’air pensif, les yeux inquiets de monsieur Poulain, embarrassaient beaucoup Rémonencq ; aussi, voyant venir le docteur, se proposa-t-il avec empressement à Schmucke pour aller chercher ce monsieur Trognon que connaissait Fraisier.

— Je serai revenu pour le moment où le testament se fera, dit Fraisier à l’oreille de la Cibot, et, malgré votre douleur, il faut veiller au grain.

Le petit avoué, qui disparut avec la légèreté d’une ombre, rencontra son ami le médecin.