Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/628

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qu’il se séparât du corps. L’Allemand se mit à genoux, et le prêtre s’arrangea commodément dans le fauteuil. Pendant que le prêtre lisait ses prières, et que Schmucke, agenouillé devant le corps de Pons, priait Dieu de le réunir à Pons par un miracle, afin d’être enseveli dans la fosse de son ami, madame Cantinet était allée au Temple acheter un lit de sangle et un coucher complet, pour madame Sauvage ; car le sac de douze cent cinquante-six francs était au pillage. À onze heures du soir, madame Cantinet vint voir si Schmucke voulait manger un morceau. L’Allemand fit signe qu’on le laissât tranquille.

— Le souper vous attend, monsieur Pastelot, dit alors la loueuse de chaises au prêtre.

Schmucke, resté seul, sourit comme un fou qui se voit libre d’accomplir un désir comparable à celui des femmes grosses. Il se jeta sur Pons et le tint encore une fois étroitement embrassé. À minuit, le prêtre revint, et Schmucke, grondé par lui, lâcha Pons, et se remit en prière. Au jour, le prêtre s’en alla. À sept heures du matin, le docteur Poulain vint voir Schmucke affectueusement et voulut l’obliger à manger ; mais l’Allemand s’y refusa.

— Si vous ne mangez pas maintenant, vous sentirez la faim à votre retour, lui dit le docteur, car il faut que vous alliez à la mairie avec un témoin pour y déclarer le décès de monsieur Pons, et faire dresser l’acte…

Moi ! dit l’Allemand avec effroi.

— Et qui donc ?… Vous ne pouvez pas vous en dispenser, puisque vous êtes la seule personne qui l’ait vu mourir…

Che n’ai boint te champes… répondit Schmucke en implorant l’assistance du docteur Poulain.

— Prenez une voiture, répondit doucement l’hypocrite docteur. J’ai déjà constaté le décès. Demandez quelqu’un de la maison pour vous accompagner. Ces deux dames garderont l’appartement en votre absence.

On ne se figure pas ce que sont ces tiraillements de la loi sur une douleur vraie. C’est à faire haïr la civilisation, à faire préférer les coutumes des Sauvages. À neuf heures, madame Sauvage descendit Schmucke en le tenant sous les bras, et il fut obligé, dans le fiacre, de prier Rémonencq de venir avec lui certifier le décès de Pons à la mairie. Partout, et en toute chose, éclate à Paris l’inégalité des conditions, dans ce pays ivre d’égalité. Cette immuable