Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/639

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— Mais, monsieur, je suis venu tous les jours, le matin, savoir des nouvelles de monsieur…

Dus les chours ! baufre Dobinard !… dit Schmucke en serrant la main au garçon de théâtre.

— Mais on me prenait sans doute pour un parent, et on me recevait bien mal ! J’avais beau dire que j’étais du théâtre et que je venais savoir des nouvelles de monsieur Pons, on me disait qu’on connaissait ces couleurs-là. Je demandais à voir ce pauvre cher malade ; mais on ne m’a jamais laissé monter.

L’invâme Zibod !… dit Schmucke en serrant sur son cœur la main calleuse du garçon de théâtre.

— C’était le roi des hommes, ce brave monsieur Pons. Tous les mois, il me donnait cent sous… Il savait que j’ai trois enfants et une femme. Ma femme est à l’église.

Che bardacherai mon bain afec doi ! s’écria Schmucke dans la joie d’avoir près de lui un homme qui aimait Pons.

— Monsieur veut-il prendre un des glands du poêle ? dit le maître des cérémonies, nous aurons ainsi les quatre.

Le maître des cérémonies avait facilement décidé le courtier de la maison Sonet à prendre un des glands, surtout en lui montrant la belle paire de gants qui, selon les usages, devait lui rester.

— Voici dix heures trois quarts !… il faut absolument descendre… l’église attend, dit le maître des cérémonies.

Et ces six personnes se mirent en marche à travers les escaliers.

— Fermez bien l’appartement et restez-y, dit l’atroce Fraisier aux deux femmes qui restaient sur le palier, surtout si vous voulez être gardienne, madame Cantinet. Ah ! ah ! c’est quarante sous par jour !…

Par un hasard qui n’a rien d’extraordinaire à Paris, il se trouvait deux catafalques sous la porte cochère, et conséquemment deux convois, celui de Cibot, le défunt concierge, et celui de Pons. Personne ne venait rendre aucun témoignage d’affection au brillant catafalque de l’ami des arts, et tous les portiers du voisinage affluaient et aspergeaient la dépouille mortelle du portier d’un coup de goupillon. Ce contraste de la foule accourue au convoi de Cibot, et de la solitude dans laquelle restait Pons, eut lieu non seulement à la porte de la maison, mais encore dans la rue où le cercueil de Pons ne fut suivi que par Schmucke, que soutenait un croque-mort, car l’héritier défaillait à chaque pas. De la rue de Normandie