Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— On se gâte la main à ramasser des écus ! répondit Stidmann. C’est à la gloire à nous apporter la fortune.

— Que voulez-vous ? dit Chanor à Rivet, on ne peut pas les attacher…

— Ils mangeraient le licou ! répliqua Stidmann.

— Tous ces messieurs, dit Chanor en regardant Stidmann, ont autant de fantaisie que de talent. Ils dépensent énormément, ils ont des lorettes, ils jettent l’argent par les fenêtres, ils ne trouvent plus le temps de faire leurs travaux ; ils négligent alors leurs commandes ; nous allons chez des ouvriers qui ne les valent pas et qui s’enrichissent ; puis ils se plaignent de la dureté des temps, tandis que, s’ils s’étaient appliqués, ils auraient des monts d’or…

— Vous me faites l’effet, vieux Père Lumignon, dit Stidmann, de ce libraire d’avant la révolution qui disait : — Ah ! si je pouvais tenir Montesquieu, Voltaire et Rousseau, bien gueux, dans ma soupente et garder leurs culottes dans une commode, comme ils m’écriraient de bons petits livres avec lesquels je me ferais une fortune ! Si l’on pouvait forger de belles œuvres comme des clous, les commissionnaires en feraient… Donnez-moi mille francs, et taisez-vous !

Le bonhomme Rivet revint enchanté pour la pauvre demoiselle Fischer qui dînait chez lui tous les lundis et qu’il allait y trouver.

— Si vous pouvez le faire bien travailler, dit-il, vous serez plus heureuse que sage, vous serez remboursée, intérêts, frais et capital. Ce Polonais a du talent, il peut gagner sa vie ; mais enfermez ses pantalons et ses souliers, empêchez-le d’aller à la Chaumière et dans le quartier Notre-Dame-de-Lorette, tenez-le en laisse. Sans ces précautions, votre sculpteur flânera, et si vous saviez ce que les artistes appellent flâner ! des horreurs, quoi ! Je viens d’apprendre qu’un billet de mille francs y passe dans une journée.

Cet épisode eut une influence terrible sur la vie intérieure de Wenceslas et de Lisbeth. La bienfaitrice trempa le pain de l’exilé dans l’absynthe des reproches, lorsqu’elle crut ses fonds compromis, et elle les crut bien souvent perdus. La bonne mère devint une marâtre, elle morigéna ce pauvre enfant, elle le tracassa, lui reprocha de ne pas travailler assez promptement, et d’avoir pris un état difficile. Elle ne pouvait pas croire que des modèles en cire rouge, des figurines, des projets d’ornements, des essais pussent