Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 8.djvu/427

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accaparé leurs produits. David n’avait d’ailleurs ni l’audace, ni les capitaux nécessaires à de pareilles spéculations. Or, tant que pour ses fabrications la papeterie s’en tiendrait au chiffon, le prix du papier ne pouvait que hausser. On ne force pas la production du chiffon. Le chiffon est le résultat de l’usage du linge et la population d’un pays n’en donne qu’une quantité déterminée. Cette quantité ne peut s’accroître que par une augmentation dans le chiffre des naissances. Pour opérer un changement sensible dans sa population, un pays veut un quart de siècle et de grandes révolutions dans les mœurs, dans le commerce ou dans l’agriculture. Si donc, les besoins de la papeterie devenaient supérieurs à ce que la France produisait de chiffon, soit du double soit du triple, il fallait, pour maintenir le papier à bas prix, introduire dans la fabrication du papier un élément autre que le chiffon. Ce raisonnement reposait d’ailleurs sur les faits. Les papeteries d’Angoulême, les dernières où se fabriquèrent des papiers avec du chiffon de fil, voyaient le coton envahissant la pâte dans une progression effrayante. En même temps que lord Stanhope inventait la presse en fer et qu’on parlait des presses mécaniques de l’Amérique, la mécanique à faire le papier de toute longueur commençait à fonctionner en Angleterre. Ainsi les moyens s’adaptaient aux besoins de la civilisation française actuelle, qui repose sur la discussion étendue à tout et sur une perpétuelle manifestation de la pensée individuelle, un vrai malheur, car les peuples qui délibèrent agissent très-peu. Chose étrange ! pendant que Lucien entrait dans les rouages de l’immense machine du Journalisme, au risque d’y laisser son honneur et son intelligence en lambeaux, David Séchard, du fond de son imprimerie, embrassait le mouvement de la Presse périodique dans ses conséquences matérielles. Armé par Lucien de l’idée première que monsieur Chardon père avait eue sur la solution de ce problème d’industrie, il voulait mettre les moyens en harmonie avec le résultat vers lequel tendait l’esprit du Siècle. Enfin, il voyait juste en cherchant une fortune dans la fabrication du papier à bas prix, car l’événement a justifié la prévoyance du sagace imprimeur d’Angoulême. Pendant ces quinze dernières années, le bureau chargé des demandes de brevets d’invention a reçu plus de cent requêtes de prétendues découvertes de substances à introduire dans la fabrication du papier.

Ce dévoué jeune homme, certain de l’utilité de cette découverte,