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URSULE MIROUET.

nir vingt-quatre mille francs de rente d’un seul tenant, sans enclaves, autour du château du Rouvre ? Avec vos prairies et votre moulin qui sont de l’autre côté du Loing, vous y ajouteriez seize mille francs ! Voyons, gros père, voulez-vous jouer avec moi franc jeu ?

— Oui.

— Eh ! bien, afin de vous faire sentir mes crocs, je mijotais pour Massin l’acquisition du Rouvre, ses parcs, ses jardins, ses réserves et son bois.

— Avise-toi de cela ? dit Zélie en intervenant.

— Eh ! bien, dit Goupil en lui lançant un regard de vipère, si je veux, demain Massin aura tout cela pour deux cent mille francs.

— Laisse-nous, ma femme, dit alors le colosse en prenant Zélie par le bras et la renvoyant, je m’entends avec lui… Nous avons eu tant d’affaires, reprit Minoret en revenant à Goupil, que nous n’avons pu penser à vous ; mais je compte bien sur votre amitié pour nous avoir le Rouvre.

— Un ancien marquisat, dit malicieusement Goupil, et qui vaudrait bientôt entre vos mains cinquante mille livres de rente, plus de deux millions au prix où sont les biens.

— Et notre substitut épouserait alors la fille d’un maréchal de France, ou l’héritière d’une vieille famille qui le pousserait dans la magistrature à Paris, dit le maître de poste en ouvrant sa large tabatière et offrant une prise à Goupil.

— Eh ! bien, jouons-nous franc jeu ? s’écria Goupil en se secouant les doigts.

Minoret serra les mains de Goupil en lui répondant : — Parole d’honneur !

Comme tous les gens rusés, le maître-clerc crut, heureusement pour Minoret, que son mariage avec Ursule était un prétexte pour se raccommoder avec lui depuis qu’il leur opposait Massin.

— Ce n’est pas lui, se dit-il, qui a trouvé cette bourde, je reconnais ma Zélie, elle lui a dicté son rôle. Bah ! lâchons Massin. Avant trois ans je serai, moi, le député de Sens, pensa-t-il. En apercevant alors Bongrand qui allait faire son whist en face, il se précipita dans la rue.

— Vous vous intéressez beaucoup à Ursule Mirouët, mon cher monsieur Bongrand, lui dit-il ; vous ne pouvez pas être indifférent