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  Eugénie Grandet. 237

— Maman, dit-elle, jamais mon cousin ne supportera l’odeur d’une chandelle. Si nous achetions de la bougie ?… Elle alla, légère comme un oiseau, tirer de sa bourse l’écu de cent sous qu’elle avait reçu pour ses dépenses du mois.

— Tiens, Nanon, dit-elle, va vite.

— Mais, que dira ton père ? Cette objection terrible fut proposée par madame Grandet en voyant sa fille armée d’un sucrier de vieux Sèvres rapporté du château de Froidfond par Grandet.

— Et où prendras-tu donc du sucre ? es-tu folle ?

— Maman, Nanon achètera aussi bien du sucre que de la bougie.

— Mais ton père ?

— Serait-il convenable que son neveu ne pût boire un verre d’eau sucrée ? D’ailleurs, il n’y fera pas attention.

— Ton père voit tout, dit madame Grandet en hochant la tête.

Nanon hésitait, elle connaissait son maître.

— Mais va donc, Nanon, puisque c’est ma fête !

Nanon laissa échapper un gros rire en entendant la première plaisanterie que sa jeune maîtresse eût jamais faite, et lui obéit. Pendant qu’Eugénie et sa mère s’efforçaient d’embellir la chambre destinée par monsieur Grandet à son neveu, Charles se trouvait l’objet des attentions de madame des Grassins, qui lui faisait des agaceries.

— Vous êtes bien courageux, monsieur, lui dit-elle, de quitter les plaisirs de la capitale pendant l’hiver pour venir habiter Saumur. Mais si nous ne vous faisons pas trop peur, vous verrez que l’on peut encore s’y amuser.

Elle lui lança une véritable œillade de province, où, par habitude, les femmes mettent tant de réserve et de prudence dans leurs yeux qu’elles leur communiquent la friande concupiscence particulière à ceux des ecclésiastiques, pour qui tout plaisir semble ou un vol ou une faute. Charles se trouvait si dépaysé dans cette salle, si loin du vaste château et de la fastueuse existence qu’il supposait à son oncle, qu’en regardant attentivement madame des Grassins, il aperçut enfin une image à demi effacée des figures parisiennes. Il répondit avec grâce à l’espèce d’invitation qui lui était adressée, et il s’engagea naturellement une conversation dans laquelle madame des Grassins baissa graduellement sa voix pour la mettre en harmonie avec la nature de ses confidences. Il existait chez elle et chez Charles un même besoin de confiance. Aussi, après quelques moments de causerie coquette et de plaisanteries sérieuses, l’adroite