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  Eugénie Grandet. 355

sur le mien. Je ne vous parlerai ni de vos mœurs, ni de votre éducation, ni de vos habitudes, qui ne sont nullement en rapport avec la vie de Paris, et ne cadreraient sans doute point avec mes projets ultérieurs. Il entre dans mes plans de tenir un grand état de maison, de recevoir beaucoup de monde, et je crois me souvenir que vous aimez une vie douce et tranquille. Non, je serai plus franc, et veux vous faire arbitre de ma situation ; il vous appartient de la connaître, et vous avez le droit de la juger. Aujourd’hui je possède quatre-vingt mille livres de rentes. Cette fortune me permet de m’unir à la famille d’Aubrion, dont l’héritière, jeune personne de dix-neuf ans, m’apporte en mariage son nom, un titre, la place de gentilhomme honoraire de la chambre de Sa Majesté, et une position des plus brillantes. Je vous avouerai, ma chère cousine, que je n’aime pas le moins du monde mademoiselle d’Aubrion ; mais, par son alliance, j’assure à mes enfants une situation sociale dont un jour les avantages seront incalculables : de jour en jour, les idées monarchiques reprennent faveur. Donc, quelques années plus tard, mon fils, devenu marquis d’Aubrion, ayant un majorat de quarante mille livres de rente, pourra prendre dans l’État telle place qu’il lui conviendra de choisir. Nous nous devons à nos enfants. Vous voyez, ma cousine, avec quelle bonne foi je vous expose l’état de mon cœur, de mes espérances et de ma fortune. Il est possible que de votre côté vous ayez oublié nos enfantillages après sept années d’absence ; mais moi, je n’ai oublié ni votre indulgence, ni mes paroles ; je me souviens de toutes, même des plus légèrement données, et auxquelles un jeune homme moins consciencieux que je ne le suis, ayant un cœur moins jeune et moins probe, ne songerait même pas. En vous disant que je ne pense qu’à faire un mariage de convenance, et que je me souviens encore de nos amours d’enfant, n’est-ce pas me mettre entièrement à votre discrétion, vous rendre maîtresse de mon sort, et vous dire que, s’il faut renoncer à mes ambitions sociales, je me contenterai volontiers de ce simple et pur bonheur duquel vous m’avez offert de si touchantes images… »

— Tan, ta, ta. — Tan, ta, ti. — Tinn, ta, ta. — Toûn ! — Toûn, ta, ti. — Tinn, ta, ta…, etc., avait chanté Charles Grandet sur l’air de Non più andrai, en signant :

» Votre dévoué cousin,
» Charles. »