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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

bien, que dites-vous de sa maladie ? ce sont des frimes ! Vous ne sauriez imaginer la perversité de cette enfant.

Après la soirée, elle retint Vinet, elle était furieuse, elle voulait se venger ; elle fut grossière avec le colonel quand il lui fit ses adieux. Le colonel jeta sur Vinet un certain regard qui le menaçait jusque dans le ventre, et semblait y marquer la place d’une balle. Sylvie pria Vinet de rester. Quand ils furent seuls, la vieille fille lui dit : — Jamais, ni de ma vie, ni de mes jours, je n’épouserai le colonel !

— Maintenant que vous en avez pris la résolution, je puis parler. Le colonel est mon ami, mais je suis plus le vôtre que le sien : Rogron m’a rendu des services que je n’oublierai jamais. Je suis aussi bon ami qu’implacable ennemi. Certes, une fois à la Chambre, on verra jusqu’où je saurai parvenir, et Rogron sera Receveur-Général de ma façon… Eh ! bien, jurez-moi de ne jamais rien répéter de notre conversation ? Sylvie fit un signe affirmatif. — D’abord ce brave colonel est joueur comme les cartes.

— Ah ! fit Sylvie.

— Sans les embarras où sa passion l’a mis, il eût été Maréchal de France peut-être, reprit l’avocat. Ainsi, votre fortune, il pourrait la dévorer ! mais c’est un homme profond. Ne croyez pas que les époux ont ou n’ont pas d’enfants à volonté : Dieu donne les enfants, et vous savez ce qui vous arriverait. Non, si vous voulez vous marier, attendez que je sois à la Chambre, et vous pourrez épouser ce vieux Desfondrilles, qui sera Président du Tribunal. Pour vous venger, mariez votre frère à mademoiselle de Chargebœuf, je me charge d’obtenir son consentement ; elle aura deux mille francs de rente, et vous serez alliés aux Chargebœuf comme je le suis. Croyez-le, les Chargebœuf nous tiendront un jour pour cousins.

— Gouraud aime Pierrette, fut la réponse de Sylvie.

— Il en est bien capable, dit Vinet, et capable de l’épouser après votre mort.

— Un joli petit calcul, dit-elle.

— Je vous l’ai dit, c’est un homme rusé comme le diable ! mariez votre frère en annonçant que vous voulez rester fille pour laisser votre bien à vos neveux ou nièces, vous atteignez d’un seul coup Pierrette et Gouraud, et vous verrez quelle mine il vous fera.

— Ah ! c’est vrai, s’écria la vieille fille, je les tiens. Elle ira dans un magasin et n’aura rien. Elle est sans le sou, qu’elle fasse comme nous, qu’elle travaille !