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URSULE MIROUET.

En prouvant que les sens, construction purement physique, organes dont tous les effets s’expliquaient, étaient terminés par quelques-uns des attributs de l’infini, le magnétisme renversait ou du moins lui paraissait renverser la puissante argumentation de Spinosa : l’infini et le fini, deux éléments, incompatibles selon ce grand homme, se trouvaient l’un dans l’autre. Quelque puissance qu’il accordât à la divisibilité, à la mobilité de la matière, il ne pouvait pas lui reconnaître des qualités quasi-divines. Enfin il était devenu trop vieux pour rattacher ces phénomènes à un système, pour les comparer à ceux du sommeil, de la vision, de la lumière. Toute sa science, basée sur les assertions de l’école de Locke et Condillac, était en ruines. En voyant ses creuses idoles en pièces, nécessairement son incrédulité chancelait. Ainsi tout l’avantage, dans le combat de cette enfance catholique contre cette vieillesse voltairienne, allait être à Ursule. Dans ce fort démantelé, sur ces ruines ruisselait une lumière. Du sein de ces décombres éclatait la voix de la prière ! Néanmoins l’obstiné vieillard chercha querelle à ses doutes. Encore qu’il fût atteint au cœur, il ne se décidait pas, il luttait toujours contre Dieu. Cependant son esprit parut vacillant, il ne fut plus le même. Devenu songeur outre mesure, il lisait les Pensées de Pascal, il lisait la sublime Histoire des Variations de Bossuet, il lisait Bonald, il lut saint Augustin ; il voulut aussi parcourir les œuvres de Swedenborg et de feu Saint-Martin, desquels lui avait parlé l’homme mystérieux. L’édifice bâti chez cet homme par le matérialisme craquait de toutes parts, il ne fallait plus qu’une secousse ; et, quand son cœur fut mûr pour Dieu, il tomba dans la vigne céleste comme tombent les fruits. Plusieurs fois déjà, le soir, en jouant avec le curé, sa filleule à côté d’eux, il avait fait des questions qui, relativement à ses opinions, paraissaient singulières à l’abbé Chaperon, ignorant encore du travail intérieur par lequel Dieu redressait cette belle conscience.

— Croyez-vous aux apparitions ? demanda l’incrédule à son pasteur en interrompant la partie.

— Cardan, un grand philosophe du seizième siècle, a dit en avoir eu, répondit le curé.

— Je connais toutes celles qui ont occupé les savants, je viens de relire Plotin. Je vous interroge en ce moment comme catholique, et vous demande si vous pensez que l’homme mort puisse revenir voir les vivants.