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CONTES DRÔLATIQUES.

d’estre maulvais, luy commanda d’aller de prime abord se prosterner devant son seigneur, et luy advouer ses déportemens ; puis, s’il reschappoyt de ceste confession, de se croiser sur l’heure et virer droict en Terre-Saincte, où il demoureroyt quinze ans de terme préfix à guerroyer contre les Infidèles.

— Las ! mon révérend père, feit-il tout espanté, quinze ans seront-ils assez pour m’acquitter de tant de plaisirs ? Ah ! si vous sçaviez, il y ha eu de la doulceur bien pour mille ans !

— Dieu sera bon homme. Allez ! reprint le vieulx abbé ; ne péchez plus. A ce compte, ego te absolvo

Le paouvre René retourna, là-dessus, en grant contrition, au chastel de la Roche-Corbon ; et la prime rencontre qu’il feit feut le senneschal, qui faisoyt fourbir ses armes, morions, brassards et le reste. Il estoyt sis iuz ung grant banc de marbre, à l’aër, et se complaisoyt à veoir soleiller ses beaulx harnoys qui luy ramentevoyent ses ioyeulsetez de la Terre-Saincte, les bons coups, les galloises, et cætera. Quand René se feut mis à genoilz devant luy, le bon seigneur feut bien estonné.

— Qu’est cecy ? dit-il.

— Mon seigneur, respondit René, commandez à ceulx-cy de soy retirer.

Ce que les serviteurs ayant faict, le paige advoua sa faulte, en racontant comment il avoyt assailly sa dame pendant le sommeil, et que, pour le seur, il debvoyt l’avoyr enchargiée d’ung enfant, à l’imitation de l’homme avecques la saincte, et venoyt, par ordre de son confesseur, se remettre à la discrétion de l’offensé. Ayant dict, René de Iallanges baissa ses beaulx yeulx, d’où procédoyt tout le meschief, et resta coy, prosterné sans paour, les bras pendans, la teste nue, attendant la mal heure et soubmis à Dieu. Le senneschal n’estoyt si blanc qu’il ne pust blesmir encores ; et doncques, il paslit comme linge freschement seiché, demourant muet de cholère ; puis ce vieil homme, qui n’avoyt point en ses veines d’esperits vitaulx assez pour procréer ung enfant, treuva, dans ce moment ardent, plus de vigueur que besoing n’estoyt pour deffaire ung homme. Il empoigna de sa dextre velue sa lourde masse d’armes, la leva, brandilla et aiusta si facilement, que vous eussiez dict une boule