Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
CONTES DRÔLATIQUES.

— Allons ! s’escria-t-elle domptée par ceste ardente amour, ie ne sçay la fin de tout cecy ! mais viens. Après nous irons périr tous à la poterne !

Mesme flamme embrazant leurs cueurs, mesme accord ayant sonné pour tous deux, ils s’entre-accollèrent de la bonne fasson, et, dans le délicieux accez de ceste folle fiebvre que vous cognoissez, i’espère, ils tombèrent en ung profund oubly des dangiers de Savoisy, des leurs, du connestable, de la mort, de la vie et de tout.

Pendant ce, les gens de guette au porche estoyent allez informer le connestable de la venue du guallant, et luy dire comment l’enraigé gentilhomme n’avoyt tenu compte des œillades que, pendant la messe et durant le chemin, la comtesse luy avoyt gectées à ceste fin de l’empeschier d’estre desconfict. Ils rencontrèrent leur maistre en grant haste d’arriver à la poterne, pour ce que, de leur costé, ses archers du quay l’avoyent aussy huchié de loing, luy disant :

— Vécy le sire de Savoisy qui entre.

Et, de faict, Savoisy estoyt venu à l’heure assignée ; et, comme font tous les amans, ne pensant qu’à sa dame, il n’avoyt point veu les espies du comte, et s’estoyt coulé par la poterne. Ce conflict d’amans feut cause que le connestable arresta tout court les paroles de ceulx qui venoyent de la rue Sainct-Anthoine, en leur disant avec ung geste d’authorité qu’ils ne s’advisèrent pas de contredire :

— Ie sçay que la beste est prinse ! …

Là-dessus, tous se gectèrent à grant bruit par la susdicte poterne en criant : « A mort ! à mort ! » Et gens d’armes, archers, connestable, capitaines, tous coururent sus à Charles Savoisy, filleul du Roy, lequel ils assaillirent iouxte la croisée de la comtesse ; et par ung cas notable, les gémissemens du paouvre ieune homme s’exhalèrent douloureusement meslez aux hurlemens des souldards, pendant les sospirs passionnez et les cris que poulsoyent les deux amans, lesquels se hastèrent en grant paour.

— Ah ! feit la comtesse en blanchissant de terreur, Savoisy meurt pour moy !

— Mais ie vivray pour vous, respondit Boys-Bourredon, et me trouveray encores bien heureux en payant mon bonheur du prix dont se paye le sien.

— Mussez-vous dedans ce bahut, cria la comtesse ; i’entends le pas du connestable.