Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
CONTES DROLATIQUES.

à la tenir, puis, de l’aultre main, vous cherchez une guimpe pour bender les yeulx de ceste puce et l’empescher de saulter, veu que la beste, n’y voyant plus clair, ne sçayt où aller. Cependant, comme elle pourroyt encores vous mordre et seroyt en cas de devenir enraigée de cholère, vous luy entr’ouvrez légierement le bec et y mettez délicatement ung brin du buys benoist qui est au petit benoistier pendu à vostre chevet. Alors la puce est contraincte de rester saige. Mais songez que la discipline de nostre Ordre ne nous octroye la propriété d’aulcune chouse sur terre, et que ceste beste ne sçauroyt vous appartenir. Ores, il vous faut penser que ce est une créature de Dieu, et tascher de la luy rendre plus agréable. Doncques, avant toute chouse, besoing est de vérifier trois cas graves, à sçavoir : si la puce est masle, si elle est femelle, si elle est vierge. Prenez que elle soit vierge, ce qui est trez rare, veu que ces bestes n’ont point de mœurs, sont toutes des galloises trez lascives, et se donnent au premier venu : vous saisissez ses pattes de derrière en les tirant de dessoubz son petit caparasson, vous les liez avecques ung de vos cheveulx, et la portez à la supérieure, qui décide de son sort après avoir consulté le Chapitre. Si ce est une masle…

— A quoy peut-on veoir qu’une puce est pucelle ? demanda la curieuse novice.

— D’abord, reprint la sœur Ovide, elle est triste et mélancholicque, ne rit pas comme les aultres, ne mord pas si dru, ha la gueule moins ouverte et rougit quand on la touche vous sçavez où…

— En ce cas, repartit la novice, i’ay esté mordue par des masles…

Sur ce, les sœurs s’esclaffèrent de rire tant et tant, que l’une d’elles feit ung pet en la-dieze, si druement attaqué, qu’elle en laissa cheoir de l’eau, et la sœur Ovide la leur monstra sur le planchier, disant :

— Voyez, il n’y ha point de vent sans pluye.

La novice en rit elle-mesme et cuyda que ces estouffades venoyent de l’apostrophe eschappée à la sœur.

— Doncques, reprint la sœur Ovide, si c’est une puce masle, vous prenez vos ciseaulx, ou la dague de vostre amant, si par hazard il vous l’ha baillée en souvenir de luy avant vostre entrée au convent. Brief, munie d’ung instrument trenchant, vous fendez avecques précaution le flanc de la puce. Attendez-vous à