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LE SUCCUBE.

avons ouvert le présent verbal, ce lundy unze décembre, après la messe, à ceste fin de communicquer les dires de ung chascun au dict démon, en l’interroguant sur lesdicts faicts à luy imputez et le iuger suyvant les lois portées contra dæmonios.

En ceste enqueste, me ha, pour escribre le tout, assisté Guillaume Tournebousche, rubricquateur du Chapitre, homme docte.

Premier, est venu devers nous Iehan, ayant nom Tortebras, bourgeoys de Tours, tenant, avecques licence, l’hostellerie de la Cigoygne en la place du Pont, lequel ha iuré sur le salut de son ame, la main en les saincts Évangiles, ne proférer aultre chouse que ce que par lui-mesme ha esté veu et ouy. Puis ha dict ce qui suit :


— Ie declaire que, environ deux ans avant la Sainct-Iehan où se font les feux de ioye, ung gentilhomme, en prime abord à moy incogneu, mais appartenant, pour le seur, à nostre seigneur le Roy, et lors en nostre pays retourné de la Terre Saincte, est venu chez moy me prouposer de luy bailler à loyer une maison des champs par moy bastie en la censive du Chapitre, prouche le lieu dict de Sainct-Estienne, et que ie la luy ay laissée pour neuf ans moyennant trois besans d’or fin.

En ladicte maison, ha mis ledict seigneur une belle gouge à luy, ayant apparence de femme, vestue à la méthode estrangiere des Sarrazines et Mahumetisches, laquelle il ne vouloyt par aulcun laisser veoir ne approucher plus d’ung gect d’arc, ains à laquelle ay veu de mes yeulx ung plumaige bigearre en la teste, ung tainct supernaturel et yeux plus flambans que ie ne sçauroys dire, desquels sourdoyt ung feu d’enfer.

Le deffunct chevalier, ayant menacé de mort quiconque feroyt mine de flairer ledict logiz, i’ay, par grant paour, livré ladicte maison, et i’ay, iusqu’à ce iour, secrettement guardé en mon ame aulcunes présumptions et doubtes sur l’apparence maulvaise de