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CONTES DROLATIQUES.

reschauffoyt de la teste aux pieds et me faisoyt soubhaiter estre ieune pour m’adonner à ce démon, treuvant que, pour une heure passée en sa compaignie, mon heur éterne n’estoyt qu’une foyble solde des plaizirs de l’amour goustez en ces bras mignons. Lors, déposay la fermeté dont doivent demourer guarnis les iuges. Cettuy démon, par moy questionné, m’arraisonna de telles paroles, qu’en son secund interroguatoire ie feus en ferme persuasion que ie feroys ung crime en mulctant et tormentant une paouvre petite créature, laquelle plouroyt comme ung enfant innocent. Lors, adverty par une voix d’en hault de faire mon debvoir et que ces paroles dorées, ceste musicque d’apparence céleste, estoyent momeries diabolicques ; que cettuy corps si gent, si desgourd, se transmuteroyt en beste horriblement poilue, à griphes aguz ; et ses yeux si doulx, en tisons d’enfer ; sa croupe, en queue squammeuse ; et sa iolie bouche roze, à lèvres gracieuses, en gueule de crocodile, ie revins en intention de faire torturer ledict succube iusques à ce qu’il advouast sa mission, ainsi que desià ceste practicque avoyt esté suyvie en la chrestienté. Doncques, alors que cettuy démon se montra nud à moy, pour estre mis à la gehenne, ie feus soubdainement soubmis à sa puissance par coniurations magicques. Ie sentis mes vieulx os craquer ; ma cervelle receut lumière chaulde ; mon cueur transborda du sang ieune et bouillant ; ie feus allaigre en moy-mesme ; et, par la vertu du philtre gecté en mes yeulx, se fondirent toutes les neiges de mon front. Ie perdis cognoissance de ma vie chrestienne, et me creus ung escholier virvouchant en la campaigne, eschappé de la classe et robbant des pommes. Ie n’eus aulcune force de faire ung seul signe de croix, et ne me soubvins ne de l’Ecclise, ne de Dieu le Père, ne du doulx Saulveur des hommes. En proye à ceste visée, i’alloys par les rues, me ramentevant les délices de ceste voix, l’abominable ioly corps de cettuy démon, me disant mille chouses maulvaises. Puis, féru et tiré par ung coup de la fourche du diable qui se plantoyt desià en ma teste comme serpe en ung chesne, ie feus conduict par ce fer agu vers la geole maulgré mon ange guardien, lequel de temps à aultre me tiroyt par le bras et me deffendoyt contre ces tentations ; mais, obstant ses saincts advis et son assistance, i’estoys tiraillé par des millions de griphes enfoncez en mon cueur, et m’en trouvay tost en ceste geole. Alors que l’huys m’en feut ouvert, ie ne vis plus aulcune apparence de prison, pour ce que le succube y avoyt par le secours des maulvais génies ou phées construict