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CONTES DROLATIQUES.

ser aulcun songe ambitieux en l’esperit. Drapier comme ung Tournebousche doibt estre leur gloire, leurs armes, leur nom, leur devise, leur vie. Ores, estant tousiours drapiers, par ainsy seront tousiours les Tournebousches, incogneus, et vivotteront comme de bons petits insectes, lesquels une foys logiez en une poultre, font leurs trous et vont en toute sécurité iusques au bout de leur peloton de fil. Cinquiesmement, ne iamais parler aultre languaige que le languaige de la draperie ; ne point disputer de religion, de gouvernement. Et, encores que le gouvernement de l’Estat, la province, la religion et Dieu virassent ou eussent phantaisie de aller à dextre ou à senestre, tousiours en qualité de Tournebousche demourer en son drap. Par ainsy, n’estant aperceus d’aulcun en la ville, les Tournebousches vivront en calme avecques leurs petits Tournebouschons, payant bien les dixmes, les imposts et tout ce qu’ils seront requis de donner par force, soit à Dieu, soit au Roy, à la ville ou à la paroësse, avecques lesquels ne fault oncques se desbattre. Aussy, besoing est de réserver le patrimonial threzor pour avoir paix, achepter la paix, ne iamais rien debvoir, avoir du grain au logiz, et se rigoler les portes et les croisées closes.

Par ainsy, nul n’aura prinse ez Tournebousches, ny l’Estat, ny l’Ecclise, ny les seigneurs, auxquels, le cas échéant, s’il y ha force, vous presterez quelques escuz sans iamais nourrir l’espérance de les revoir, ie dis les escuz. Ainsy tous, en toute saison, aymeront les Tournebousches ; se mocqueront des Tournebousches, gens de peu ; des Tournebousches à petits pieds ; des Tournebousches de nul entendement. Laissez dire les ignares. Les Tournebousches ne seront ni bruslez, ni pendus, à l’advantaige du Roy, de l’Ecclise ou de tous autres ; et les saiges Tournebousches auront secrettement argent en leurs fouillouzes et ioye au logiz, à couvert de tout.

Doncques, mon chier fils, suys ces adviz de médiocre et petite vie. Maintiens cecy en ta famille, comme charte de province. Que, toy mourant, ton successeur le maintienne comme sacre Evangile des Tournebousches, iusqu’à ce que Dieu ne veuille plus qu’il y ayt de Tournebousches en ce monde.

Ceste lettre ha esté treuvée lors de l’inventaire faict en la maison de Françoys Tournebousche, seigneur de Veretz, chancelier de Monseigneur le Dauphin, et condamné, lors de la rebellion dudict seigneur contre le Roy, à perdre la teste