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SUR LE MOYNE AMADOR.

prenoyt licence de tout faire à sa phantaisie, sans paour de chastiment, en la paouvre vallée de l’Indre, où il souloyt avoir tout à luy depuis Montbazon iusques à Ussé. Comptez enda que ses voisins estoyent en terreur de luy, et, pour n’estre point desconficts, le laissoyent aller son train, mais l’auroyent mieulx aymé en terre qu’en prée, et luy soubhaitoyent mille maulx, ce dont il se soulcioyt mie. En toute la vallée, la noble abbaye estoyt seule à tenir teste à ce diable, veu que l’Ecclise ha tousiours eu pour doctrine de ramasser en son giron les foibles, les souffreteux, et se bender à deffendre les opprimez, surtout alors que ses droicts et priviléges sont menassez. Doncques, ce rude batailleur haïoyt moult les moynes, et par-dessus tout ceulx de Turpenay, qui ne vouloyent se laisser robber leurs droicts par force, ni ruze ou aultrement. Comptez que il feut moult content du schisme ecclésiasticque, et attendoyt nostre abbaye au choix du pape, pour la destrousser, prest à recognoistre celluy auquel l’abbé de Turpenay refuseroyt son obédience. Depuis son retourner en son chasteau, il avoyt accoustumé de tormenter, gehenner les prebstres dont il faisoyt la rencontre sur ses domaines, de telle sorte que ung paouvre religieux, surprins par ce dict seigneur dedans le chemin de sa seigneurie qui va le long de l’eaue, ne conceut aultre mode de salut que de soy gecter en la rivière, ou par un miracle espécial de Dieu, que le bon homme invocqua fort ardemment, sa robbe le soustint sur l’Indre, et il vogua trez-bien à l’aultre bord, que il atteignit en veue du seigneur de Candé, lequel n’eut aulcune honte de se gaudir des affres d’ung serviteur de Dieu. Voilà de quelle estoffe estoyt vestu ce mauldict pèlerin. L’abbé auquel estoyt lors commise nostre glorieuse abbaye menoyt une vie trez-saincte, prioyt Dieu dévotieusement, mais eust sauvé dix fois son ame, tant estoyt de bon aloy sa religion, paravant de treuver chance à saulver l’abbaye des griphes de ce mauldict. Encores que le vieil abbé feust trez-perplexe et veist venir la male heure, il se fioyt à Dieu pour le secours advenir, disant que il ne lairroyt point entamer les biens de son Ecclise ; puis, que celluy qui avoyt suscité la princesse Iudith aux Hébreux et la royne Lucretia aux Romains bailleroyt ung secours à sa trez-illustre abbaye de Turpenay, et aultres proupos trez-saiges. Ains ses moynes, qui, ie dois l’advouer à nostre dam, estoyent des mescréans, le reprouchoyent de son nonchaloir, et, au rebours, disoyent que besoing estoyt d’atteler tous les bœufs de la province