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CONTES DROLATIQUES.

sade esveigla la petite damoiselle de Candé, qui vint veoir. Prenez note que le moyne avoyt espéré ceste rencontre, veu que l’eaue luy estoyt venue en la bouche de ce ioly fruict que il gobba, pour ce que la bonne damoiselle ne put empeschier que il baillast à la petite, qui le voulut, ung restant d’indulgences. Ains comptez que ceste ioye lui estoyt deue pour ses poines. Le matin estant advenu, les gorets ayant mangié leurs platées, les chats s’estant desenamourez, force de compisser les endroicts frostez d’herbes, Amador alla soy reposer en son lict, que la Perrotte avoyt desenginié. Ung chascun dormit, par la graace du moyne, ung si long temps, que aulcun ne se leva dedans le chasteau paravant midy, qui estoyt l’heure du disner. Les serviteurs cuydoyent tous le moyne estre ung diable qui avoyt emporté les chats, les gorets et aussy les maistres. Nonobstant leurs dires, ung chascun feut en la salle pour le repas.

— Venez, mon père, feit la chastelaine en donnant le bras au moyne, que elle mit à ses costez dedans la chaire du baron, au grant esbahissement de tous les serviteurs, veu que le sire de Candé ne souffla mot. — Paige, donnez de cecy au père Amador, disoyt Madame. — Le père Amador ha besoing de cela, disoyt la bonne damoiselle de Candé. — Remplissez le hanap du père Amador, disoyt le sire. — Il faut du pain au père Amador, disoyt la petite de Candé. — Que soubhaitez-vous, père Amador, disoyt la Perrotte.

Ce estoyt, à tous proupos, Amador par cy, Amador par là. Bon Amador estoyt festoyé comme ung minon de pucelle en une prime nuict de nopces.

— Mangiez, mon père, faisoyt la dame, car vous feites hier au soir maigre chère. — Beuvez, mon père, disoyt le seigneur : vous estes, par le sang de Dieu ! le plus brave moyne que ie veis oncques. — Le père Amador est ung beau moyne, feit Perrotte. — Ung indulgent moyne, feit la damoiselle. — Ung bienfaisant moyne, feit la petite de Candé. — Un grant moyne, feit la dame. — Ung moyne qui ha ung nom vray de tout poinct, feit le clerc du chasteau.

Amador paissoyt, repaissoyt, se veautroyt ez platz, lappoyt l’hypocras, se pourleschioyt, esternuoyt, se gorgiasoyt, se quarroyt, s’esbarboyt comme ung taureau dans sa prée. Les aultres le resguardoyent en grant paour, existimant que il estoyt negromancien. Le disner finé, la dame de Candé, la damoiselle de Candé,