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BERTHE LA REPENTIE.

tant foible, que elle se laissa cheoir dedans le paradiz où l’avoyt faict monter Iehan. Pour estre brief, elle l’ayma tant et plus. Ains, au courant de ses ioyes, tousiours assassinée par l’apprehension des paroles menassantes de la Fallotte, et tormentée par sa grant religion, elle avoyt en paour sire Imbert, auquel elle feut contraincte d’escribre que il l’avoyt enchargiée d’ung enfant, duquel elle le resgalleroyt à son retourner ; mais elle faisoyt là ung mensonge plus gros que l’enfant. La paouvre Berthe évita son amy Iehan, durant le iour où elle escripvit ceste lettre fourbe, veu que elle ploura à mouiller son mouchenez. Se voyant évité, car ils ne se laissoyent pas plus que le feu ne laisse le bois une foys que il le happe, Iehan crut que elle le haïoyt, et ploura de son costé. A la vesprée, Berthe esmeue des larmes de Iehan, desquelles il y eut marque en ses yeulx, encores que il les essuyast, luy dit la raison de sa douleur, en y meslant l’adveu de ses terreurs en l’endroict de l’advenir, luy remonstrant combien ils estoyent tous deux en faulte, et luy tint des discours tant beaulx, tant chrestiens, tant aornez de larmes divines et oraisons contrites, que Iehan feut touchié au plus profund de son cueur par la foy de sa mye. Ceste amour naïfvement unie à la repentance, ceste noblesse dedans la coulpe, cettuy meslange de foiblesse et de force, eussent, comme disent les anciens autheurs, muté le charactère des tigres, en les attendrissant. Ne vous estomirez point de ce que Iehan feut contrainct à iurer sa parole de bachelier de luy obéir en quoy que ce soyt que elle luy commanderoyt pour la saulver en cettuy monde et dans l’aultre.

Oyant ceste fiance en elle et ceste non-maulvaiseté, Berthe se gecta aux pieds de Iehan en les luy baisant : — O amy ! que ie suis contraincte d’aymer, encores que ce soit ung péché mortel, toy qui es tant bon, tant pitoyable à ta paouvre Berthe, si tu veulx que elle songe tousiours à toy en toute doulceur, et arrester le torrent de ses pleurs, duquel est si gentille et si plaisante la source ;