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BERTHE LA REPENTIE.

— et, pour la luy monstrer, luy laissa robber ung baiser : — Iehan, reprint-elle après, si tu veulx que le souvenir de nos ioyes célestes, musicques d’anges et perfums d’amour, ne me soit point poisant, et, au contraire, me console aux maulvais iours, fais ce que la Vierge me ha commandé d’ordonner à toy en ung resve où ie la supplioys m’éclairer pour le cas présent, veu que ie l’avoys requise de venir à moy, et elle estoyt advenue. Ores, ie luy remonstroys le supplice horriblement ardent où ie seroys en tremblant pour ce petit qui ià se mouvoyt, et pour le vray père, qui seroyt à la mercy de l’aultre, et pouvoyt expier sa paternité par une mort violente, veu que la Fallotte pouvoyt avoir veu clair dedans la vie future. Lors la belle Vierge me dit en soubriant que l’Ecclise nous offroyt le pardon de nos faultes en suyvant ses commandemens ; que besoing estoyt de faire soy-mesme la part au feu des enfers en s’amendant de bonne heure, avant que le Ciel ne se faschiast. Puis, de son doigt, elle me ha monstré un Iehan pareil à toy, ains comme tu debvroys l’estre, et comme tu le seras, si tu aymes Berthe d’ung amour éterne.

Lors Iehan luy confirma sa parfaicte obéissance, en la relevant, l’asseyant sur ses genoilz et la baisant bien. La paouvre Berthe luy dit alors que cettuy vestement estoyt un froc de moyne, et le requit, en tremblant moult d’esprouver ung refus, de soy mettre en religion et retirer en Marmoustier, au delà de Tours, luy iurant sa foy que elle luy bailleroyt une darrenière nuictée, après laquelle elle ne seroyt plus oncques à luy ni à nul aultre en ce monde. Et par chascun an, en récompense de ce, le lairroyt venir chez elle ung iour, à ceste fin que il veist son enfant. Iehan, lié par son serment, promit de soy mettre en religion au gré de sa mye, en luy disant que au moyen de ce il luy seroyt fidelle, et n’auroyt aultres iouissances d’amour que celles goustées en sa divine accointance, et vivroyt sur leur chiere remembrance. Oyant ces doulces paroles Berthe luy dit que, pour grant que feust son péché, quoy que luy réservast Dieu, ceste heure luy feroyt tout supporter veu que elle ne cuydoyt point avoir esté à ung homme, ains à ung ange.

Doncques ils se couchièrent dedans le nid où leur amour estoyt esclos, ains pour dire ung adieu supresme à toutes ses belles fleurs. Besoing est de croire que le seigneur Cupido se mesla de ceste feste, veu que iamais femme ne perceut ioye pareille en aulcun lieu du monde, et que iamais homme n’en print autant.