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LE PÉCHÉ VÉNIEL.

comte de la Roche-Corbon, qui les luy fournit de tout. Elle partit le iour des nopces, après avoir remis sa fille aux mains du senneschal, en lui recommandant de la bien mesnaiger ; plus tard, revint avecques le sire d’Azay, lequel estoyt lépreux, et le guarrit, en le soingnant elle-mesme, à tous risques d’estre ladre comme luy, ce qui feut grantement admiré.

Les nopces faictes et parachevées, car elles durèrent trois iournées au grant contentement des gens, messire Bruyn emmena en grant pompe la petite en son chastel ; et, selon la coustume des mariez, la couchia solennellement en sa couche, qui feut bénie par l’abbé de Marmoustiers ; puis il vint se mettre près d’elle, dedans la grant chambre seigneuriale de Roche-Corbon, laquelle avoyt esté tendue de brocard verd, avecques des cannetilles d’or. Quand le vieulx Bruyn, tout perfumé, se veit chair à chair avecques sa iolie espousée, il la baisa d’abord au front, puis sur le tettin rondelet et blanc, au mesme endroict où elle luy avoyt permis de luy cadenasser le fermail de la chaisne ; mais ce feut tout. Le vieulx rocquentin avoyt trop cuydé de luy-mesme en croyant pouvoir escosser le reste ; et lors, il feit chommer l’amour, maulgré les chants ioyeulx et nuptiaulx, epithalames et gaudriolles qui se disoyent en bas dedans les salles, où l’on balloyt encores. Il se resconforta d’ung coup de breuvaige des espoux, lequel, suyvant les coustumes, avoyt esté bény, et qui estoit près d’eux dans une coupe d’or ; lesdictes espices luy reschauffèrent bien l’estomach, mais non le cueur de sa deffuncte braguette. Blanche ne s’estomira point de la félonie de son espoux, veu qu’elle estoyt pucelle d’ame, et que, du mariaige, elle voyoyt seulement ce qui en est visible aux yeulx des ieunes filles, comme robes, festes, chevaulx, estre dame et maistresse, avoir ung comte, se resiouir et commander ; aussi l’enfant qu’elle estoyt, folastroyt-elle avecques les glands d’or du lict, les bobans, et s’emmerveilloyt des richesses du pourpriz où debvoyt estre enterrée sa fleur. Sentant ung peu tard sa coulpe, et se fiant à l’advenir qui cependant alloyt ruyner tous les iours ung petit ce dont il faisoyt estat pour resgaller sa femme, le senneschal voulut suppléer au fait par la parole. Ores, il entretint son espousée de toutes sortes ; luy promit les clefs de ses dressoirs, greniers et bahuts, le parfaict gouvernement de ses maisons et domaines, sans controole aulcun ; luy pendant au cou le chanteau du pain, selon le populaire dicton de Touraine. Elle estoyt comme ung ieune destrier, à plein foing, trouvoyt son bonhomme le plus