Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/86

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CE QUI N’EST QUE PÉCHÉ VÉNIEL.


Le dimanche ensuyvant de la venue de René au manoir de la Roche-Corbon, Blanche alla chasser, sans son bonhomme ; et, quand elle feut en la forest, prouche les Carneaux, veit ung moyne qui luy parut poulser une fille plus que besoing n’estoyt, et picqua des deux, en disant à ses gens : — Hau ! hau ! empeschez qu’il ne la tue ! Mais quand la senneschalle arriva près d’eulx, elle tourna promptement bride, et la veue de ce que portoyt ce dict moyne l’empescha de chasser. Elle revint pensive ; et lors, la lanterne obscure de son intelligence s’ouvrit et receut une vifve lumière qui esclaira mille chouses comme tableaux d’ecclise ou aultres, fabliaux et lays des trouvères, ou manèges des oyseaulx. Soubdain, elle descouvrit le doulx mystère d’amour, escript en toutes langues, voire mesme en celle des carpes. Est-ce pas folie aussy de vouloir celer ceste science aux pucelles ? Tost se couchia Blanche, et tost dist au senneschal : — Bruyn, vous m’avez truphée, et vous debvez besongner comme besongnoyt le moyne des Carneaux avecques la fille. Le vieulx Bruyn se doubta de l’adventure et veit bien que sa male heure estoyt venue. Il resguarda Blanche avecques trop de feu dans les yeulx pour que ceste ardeur feust contrebas, et luy respondit doulcement : — Las, ma mye ! en vous prenant pour femme, i’ay plus eu d’amour que de force, et i’ay faict estat de vostre miséricorde et vertu. Le deuil de ma vie est de sentir tout