Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/194

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jusqu’ici très heureuse, et vous avez vraiment tort de croire que je conserve contre lui quelques sentiments d’hostilité. Loin de là, car, en réalité, je finirai par lui être redevable de la tranquillité de ma vie.

— Comment cela ? dit Bricheteau.

— Oui, reprit le ministre, la rude rencontre ménagée à son profit par M. de Saint-Estève, m’a fait profondément réfléchir, et j’ai fini par reconnaître qu’au point de vue de la vie publique comme au point de vue de la vie privée, j’étais sur une mauvaise pente. J’ai une femme jeune et charmante, et je la négligeais ; une position politique très passable, et, sous l’inspiration de M. de Trailles, je m’étais laissé entraîner à des moyens d’influence hasardés et compromettants. La leçon pour moi n’a pas été perdue ; j’en ai désormais fini avec la politique d’aventures, et la plus parfaite harmonie est rétablie dans mon ménage, résultat auquel les excellents conseils de madame de l’Estorade n’ont d’ailleurs pas été étrangers.

— C’est, en effet, dit Bricheteau, une femme d’un bon sens rare, en même temps qu’un noble caractère et un esprit distingué.

— Vous la voyez beaucoup ? demanda Rastignac.

— Depuis la mort de son mari, je suis du petit nombre de ceux auxquels elle a donné accès dans sa retraite.

— C’est justement à ce titre d’ami de la maison, que j’ai désiré vous causer d’une affaire où votre avis d’abord, et ensuite votre intervention, pourraient être pour nous d’un très grand prix.

— Vous m’étonnez beaucoup, monsieur le ministre ; un chétif comme moi, bon pour vous à quelque chose !

— Je sais, répondit Rastignac, que vous êtes aussi modeste qu’habile ; mais, pour sortir des compliments, dites-moi : quelle est la pensée de madame de l’Estorade relativement à l’établissement de sa fille ? Naïs est en âge d’être mariée, car, si je ne me trompe, elle a maintenant dix-neuf ans ?

— Je ne sache pas que madame de l’Estorade ait encore rien en vue.

— Ce pauvre l’Estorade, continua le ministre, avait à ce sujet quelques idées, et je crois que M. de Sallenauve lui aurait paru un gendre convenable.