Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/200

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— On ne connaît jamais les gens qui vous font la cour, répliqua Naïs ; ce sont des acteurs qui jouent un rôle.

— Oh ! une fille de ton intelligence sait bien voir par dessous le jeu ; d’ailleurs, nous serons deux pour juger le soupirant à l’œuvre.

— Maman, je suis heureuse avec vous ; il n’y a pour moi aucune hâte de changer de situation.

— Mais, fais attention que tous les partis ne se présentent pas avec la même somme de convenances ; il s’agit ici de ce que les marchands de nouveautés appellent une grande occasion…

— Espèce d’annonce, interrompit vivement Naïs, avec laquelle ils vous attrapent le mieux du monde.

— Voyons, Naïs, dit madame de l’Estorade avec résolution, je n’entends pas te violenter, mais je ne te laisserai pas non plus entreprendre au-delà d’une certaine mesure sur mon indulgence maternelle. Plus d’une fois déjà, je me suis expliquée avec toi, touchant une idée de petite fille, que tu as transportée dans l’âge de raison, et qui, je le vois bien, est l’obstacle contre lequel je viens me heurter aujourd’hui.

— Mon Dieu ! ma mère, vous vous trompez complètement ; vous m’avez dit que M. de Sallenauve s’était expliqué sur les idées qu’avait eues mon père et que d’aucune manière il n’y donnait les mains…

— À quoi il faut ajouter que M. de Sallenauve n’est plus même à nos côtés pour formuler, si on le mettait en demeure, ce refus peu agréable pour l’amour-propre d’une fille de ta valeur. En se séparant de nous à la Crampade, « Madame, m’a-t-il dit, je vous quitte pour longtemps, pour toujours peut-être, » et l’événement n’a jusqu’ici que trop justifié cette prévision. Depuis quatre ans j’ai reçu de lui une seule lettre, sans même avoir pu savoir, tant le brouillard paraît être l’élément de sa vie, de quel lieu elle m’était adressée. Il y a un an passé que M. Bricheteau n’a eu de lui aucune espèce de nouvelles, et il nous l’a représenté comme étant engagé dans une entreprise lointaine qui ne donne à ses amis que bien peu de chances de le revoir ; je ne puis donc vraiment souffrir que tu te réserves follement pour une sorte de spectre-fiancé…