Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/225

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ont rempli ma vie, j’ai peu pensé à faire l’examen de conscience que vous semblez provoquer ; mais, une chose bien certaine, c’est qu’à choisir entre la comtesse et sa fille, je n’hésiterais pas à me décider du côté de la première.

— Surtout, continua Bricheteau, si l’on pouvait vous affirmer que vous avez fait quelque impression sur l’esprit de la mère, et que, pour son compte, elle serait heureuse de vous voir pencher de son côté.

— Mon cher Bricheteau, dit Sallenauve, le marivaudage n’est guère dans vos habitudes, et, en tous cas, au milieu d’incidents si tristes, il serait fort peu de mise ; finissez-en donc, je vous prie, avec cette tournure alambiquée que, depuis un moment, vous vous étudiez à donner à notre conversation, et enfin, si vous êtes gros de quelques pensée secrète, veuillez la mettre mieux en lumière.

— Eh bien ! mon cher ami, dans la terrible perplexité où nous étions jetés, j’ai eu en effet une idée : épouser la mère, afin de ne pas épouser la fille ; voilà ce que j’ai imaginé pour vous ; et cela est tout à fait possible si vous donnez la main à cet arrangement.

— Mais cet arrangement n’arrange rien, et c’est plutôt le dernier coup de poignard porté au cœur de Naïs.

— Je crois que vous vous trompez : Naïs est une nature malheureusement trop impressionnable ; mais c’est, par cela même, une nature généreuse. Lors donc que madame de l’Estorade, la prenant à part, lui avouera que depuis longtemps elle vous aime, et que votre mariage avec une autre la mettrait au désespoir, ou je me trompe fort, ou ce parfum de sacrifice, comme je le disais tout à l’heure, portera à la tête de la petite personne. Dans l’idée de la courageuse renonciation qu’elle fera en faveur de sa mère, se rencontrera pour elle je ne sais quoi de flatteur et de consolant : elle n’aura point été dédaignée, ce sera elle qui disposera de vous et en fera le cadeau à sa rivale. Le cœur humain se paie parfaitement de ces creuses jouissances d’amour-propre, et c’est un piège honorable auquel il ne me paraît pas probable que la chère enfant puisse échapper.

— Mais l’impression de madame de l’Estorade sur